Assistance pour passer un marché d'assurances : attention à la définition du besoin !
Le Conseil d’État a répondu définitivement à un doute qui pouvait naître des conditions de passation de marchés ayant pour objet la réalisation d’une mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurances. En effet, deux lectures cohabitaient pour ce type de marché : s’agit-il d’une mission de courtage, qui impose le recours à une profession réglementée, ou un marché de service classique, ouvert à tous ? Le Conseil d’État, jugeant en cassation puis au fond, a tranché en faveur de la seconde hypothèse, ce qui facilite la vie des acheteurs publics.
Le service d'incendie et de secours (SDIS) du Doubs a conclu avec un cabinet d’avocats un marché de services afin que celui-ci l’aide dans la passation de ses marchés d’assurances. Une société de consultants, spécialisée dans le courtage, inscrite au registre des intermédiaires d’assurances et ayant perdu le marché, a contesté la validité de procédure de passation. Ses griefs portent sur le non-respect par le pouvoir adjudicateur de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui impose que la mission d’intermédiation soit remplie par une personne inscrite au registre. Le juge du fond lui donne raison et annule la procédure de passation.
Une telle décision mettait en péril une pratique particulièrement répandue, notamment parce que les acheteurs suivent le guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics d’assurances réalisé par le ministère de l’Économie en 2008. En effet, ce guide, qui n’a pas de valeur réglementaire néanmoins, indique dans le 2) de sa première partie que « la collectivité peut, en fonction de son importance, de son organisation, des compétences de ses agents, conduire elle-même l’ensemble des travaux nécessaires en amont de la passation des marchés publics d’assurance ou faire appel à un audit ou à un conseil. […] Ces intervenants ne sont pas nécessairement un intermédiaire d’assurances. »
Les juges administratifs du fond s’opposaient à cette pratique, comme en témoignent non seulement l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy attaqué mais aussi un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille rendu en avril dernier. Tous deux ont qualifié ce type de contrats de marchés d’intermédiation.
La solution du Conseil d’État n’est pourtant pas une décision d’espèce, ou motivée par la seule sécurité juridique. Un marché public de services ayant pour objet « une mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurances » n'a donc pas pour objet de « présenter, de proposer ou d'aider à conclure un contrat d'assurances ou de réaliser d'autres travaux préparatoires à sa conclusion ». La distinction est fine mais primordiale.
Un intermédiaire en assurances (courtier, agent, mandataire) conseille son client sur les assurances à souscrire selon leurs coûts et leurs qualités techniques. S’il ne vend pas d’assurances lui-même (la société d’assurances choisie facture son service), il effectue le travail de sélection des offres. En passant un marché public d’assurances, un acheteur public remplit ce rôle lui-même. En revanche, il peut avoir besoin de soutien pour déterminer le besoin (description du risque…) et les critères de sélection. Schématiquement, la distinction entre contrat d’intermédiation et contrat de soutien s’établit en répondant à la question : qui fait le choix de l’assureur ? Si un assureur est d’ores et déjà choisi (que l’acheteur accepte ou refuse ce choix), il s’agit d’un contrat d’intermédiation. En revanche, si l’acheteur se fait aider pour déterminer comment choisir, alors il ne s’agit pas d’intermédiation et l’article L. 511 du Code des assurances ne s’applique pas.
Les conséquences pratiques de cette qualification juridique sont diverses. D’une part, elle impose que le pouvoir adjudicateur définisse correctement son besoin en assistance pour passer un marché public d’assurances. S’il demande à ce que des assureurs lui soient présentés, le marché en question est un marché de courtage et il ne pourra pas faire l’économie de recourir à des professionnels déclarés, à peine de nullité de la passation. Il est à noter que si un marché de courtage est licite, il n’exonère pas de l’obligation de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse par une procédure d’appel d’offres ou un marché à bons de commande. D’autre part, si le besoin est correctement défini, elle permet à l’acheteur public de recourir à d’autres prestataires comme des avocats mais aussi d’autres consultants non inscrits.
Choisir un candidat issu d’une profession non réglementée, comme le sont les courtiers ou les avocats, peut présenter des avantages, notamment en termes de coût, mais s’avérer dangereux juridiquement. En effet, si le juge des référés précontractuel et contractuel a un office restreint, limité au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation concernant la sélection des offres, tel n’est pas le cas du Conseil d’État. Or, en choisissant un candidat non reconnu officiellement pour ses qualités techniques en matière d’assurances, la note sur le critère technique pourrait être remise en cause.
En arrière-plan, il ne faut pas voir la décision du Conseil d’État comme l’autorisation de choisir n’importe quel candidat peu cher et présentant des qualifications techniques correctes. Elle permet simplement d’ouvrir la concurrence, en se rappelant que marchés publics rime avec liberté de candidature, égalité des candidats et transparence de la procédure.
Sources :