La loi du 10 juillet, navire amiral contre le dumping social et assurantiel

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Un petit pas procédural, un grand pas pour la loyauté dans le marché unique. Les publications, presque coup sur coup, de la directive du 15 mai 2014 et de la loi du 10 juillet 2014 permettent d’améliorer les conditions de contrôle de l’emploi d’un étranger en France par une entreprise étrangère, afin de lui assurer les mêmes droits sociaux minimaux qu’un salarié français. Si le régime de la déclaration préalable affirmé en droit de l’Union européenne est conservé en droit français, le législateur national a décidé d’aller un peu plus loin dans le contrôle de l’activité des entreprises étrangères, notamment en imposant la présentation d’une assurance pour la responsabilité décennale dès le dépôt de la candidature.

Le maître d’ouvrage, partie prenante de la protection des travailleurs détachés

Concernant les travailleurs détachés, le législateur français ne fait pas preuve de la même précision que le législateur communautaire. La directive 2014/67/UE permet aux États membres d’imposer la communication de certains documents (identité du prestataire de services, durée prévue du détachement ainsi que les dates prévues pour le début et la fin du détachement, nature des services justifiant le détachement) afin de permettre de meilleures conditions d’inspection. Le texte communautaire précise également, au titre de l’obligation de coopération entre États membres, que des amendes pourront être prononcées à l’encontre des contrevenants aux règles du détachement des travailleurs énoncées dans la directive 96/71/CE ou sa directive d’application de 2014.

En France, la loi du 10 juillet 2014 impose à l’employeur du travailleur détaché, préalablement au détachement, de déclarer le détachement auprès de l’inspection du travail. Le maître d’ouvrage doit s’assurer, avant le lancement de l’opération, que les entreprises étrangères qui  travaillent pour lui (y compris les sous-traitants) ont bien rempli cette obligation. Si l’employeur ou le maître d’ouvrage ne se soumettent pas à cette obligation, ils risquent une amende administrative de 10 000 euros au maximum soit d'au plus 2 000 euros par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Cette amende est prononcée après constatation des inspecteurs du travail. Parallèlement, le juge compétent peut être saisis tant par les salariés détachés que par le maître d’ouvrage ou donneur d’ordre, ou encore par des syndicats professionnels (ce qui constitue une des nouveautés dans le domaine).

Le contrôle de la réalité de la déclaration n’est pas le seul devoir né de la loi pour les maîtres d’ouvrage. Elle transforme les maîtres d’ouvrage en premier échelon répressif en cas d’infraction au droit du travail voire même aux droits de l’Homme par un de ses prestataires. Dans le cas où l’inspection du travail lui signale que les salariés de son prestataire « sont soumis à des conditions d'hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine », le maître d’ouvrage doit en premier lieu enjoindre à l’entreprise de faire cesser cette violation puis, le cas échéant, organiser lui-même une solution d’hébergement. La loi confie également au maître d’ouvrage la mission de contrôle du respect par son prestataire du droit du travail, et doit, après avoir lancé une injonction non suivie contre celui-ci, saisir l’inspection du travail.

L’assurance de garantie décennale obligatoire dès la phase de sélection des candidatures

En modifiant le Code des assurances, la loi a profondément modifié les conditions de candidature des entreprises étrangères : désormais, elles devront présenter leur assurance pour les dommages soumis à la responsabilité décennale issue du principe de l’article 1792 du Code civil (principe reconnu par le juge administratif en février 1973 à l’occasion de l’arrêt Trannoy). L’insertion de cette disposition n’avait pas fait de vagues devant le Parlement, et pourtant ses conséquences pourraient être importantes tant pour les maîtres d’ouvrage que pour les candidats aux marchés de travaux.

L’obligation précédente était, pour le titulaire du marché, de conclure dans les quinze jours à compter de la notification du marché une assurance pour responsabilité décennale. Désormais, les concurrents devront s'assurer avant de candidater, le contrôle se faisant à cette occasion. L’ambition d’exclure les « tricheurs » comme les appellent les parlementaires, est louable. En revanche, dans les cas où ce type de produit assurantiel, fondé sur une obligation de droit privé français, n’existe pas à l’étranger, le candidat devra conclure une assurance en France, avec les coûts que cela comporte. Dans le cas où une assurance existe à l’étranger, le pouvoir adjudicateur ne pourra pas la refuser car libellée en langue étrangère (principe de libre circulation des services oblige), mais devra néanmoins s’assurer qu’elle couvre bien l’ensemble des dommages ouvrage, ce qui, pris ensemble, constitue une restriction d'accès et une restriction de concurrence.

La loi du 10 juillet 2014, porteuse d’avancées sociales pour les salariés et de sécurité financière et technique pour les maîtres d’ouvrages, n’échappera sans doute pas à une phase de rodage.

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