La résiliation unilatérale est applicable par les cocontractants privés des personnes publiques
Dans une récente décision du 8 octobre 2014, Société Grenke Location, le Conseil d’État vient préciser les conditions dans lesquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles.
En l’espèce, une société privée a passé un contrat de location de photocopieurs pour 63 mois avec une personne publique. À peine plus d’un mois après la signature, cette dernière cesse son paiement. Le bailleur des photocopieurs ayant résilié le contrat sur le fondement d’une clause l’y autorisant, la personne publique avait ensuite obtenu du juge du fond que l’exécution du contrat soit poursuivie, au motif de l'illégalité de la clause de résiliation.
Ce qui va retenir l’attention du Conseil d’État dans cette affaire n'est pas la possibilité de contester la résiliation dont on sait qu’elle emporte, en présence d’un intérêt général, l’obligation pour le cocontractant privé de poursuivre les relations contractuelles, mais la possibilité de contester l’intérêt général lui-même, ce que l’on peut comprendre en creux comme la possibilité de résilier le contrat pour la personne privée, sous conditions.
Jurisprudence classique depuis plus d’un demi-siècle, la personne publique, au titre de la spécificité de son action et de ses pouvoirs, détient un droit de rupture unilatérale de ses contrats passés avec des personnes privées pour un motif d’intérêt général (CE, 2 mai 1958, Distillerie de Magnac Laval, n° 32401). Cette situation est en revanche loin d’être une évidence pour la personne privée. D’ailleurs les juges du Palais-Royal, lorsqu’ils envisagent l’hypothèse de clauses d’aménagement contractuel, précisent qu’elles ne doivent pas avoir pour effet de priver la personne publique de son pouvoir de résiliation unilatérale (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat, n° 41589).
Dès lors, avec cet arrêt du Conseil d’État, le cocontractant privé a la possibilité de résilier son engagement avec la personne publique en cas de méconnaissance des obligations contractuelles de cette dernière. Cette possibilité peut être lue comme une garantie pour le cocontractant privé qui peut alors remonter à la racine, au fondement de la raison de l’engagement contractuel.
Néanmoins, la portée de cette résiliation doit être nuancée en ceci qu’elle dépend d’un intérêt général qui est et restera un standard maîtrisé par le juge. Elle est également mue par différentes raisons, le plus souvent tenant à des motifs de faits dont le cocontractant ne peut anticiper les effets. Il s’agit enfin d’un retour à l’orthodoxie de l’objet de l’exécution du service public, dont le Conseil d’État replace l’intérêt au centre des débats. Si l’on pouvait douter de la portée de cet arrêt en ce sens qu’il pourrait être limité à la location financière, le meilleur indice de son importance et de l’avancée réalisée par cette nouvelle exception jurisprudentielle réside dans le fait que les 7e et 2e sous-sections se sont réunies.
Ainsi, le Conseil d’État, en introduisant une exception à la marge à ses traditionnelles jurisprudences sur la résiliation, contribue à l’hybridation du droit privé et du droit public. En somme on peut considérer que si le cocontractant privé résilie unilatéralement son engagement avec une personne publique, et tant que le contrat ne contenait pas de résistances particulières mais plutôt une option contractuelle prévue en amont par les parties elles-mêmes, alors la loyauté contractuelle – qui était moins prégnante dans les contrats de droit public – continue sa poussée en la matière.
En outre, au-delà de la seule loyauté, ce sont les à-côtés du contrat, les accessoires, qui se tournent vers le régime du droit privé de telle sorte que les spécificités du droit administratif s’en voient peu à peu lissées.
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