Les marchés publics au cœur de la lutte contre les discriminations

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Avec la publication le 28 janvier dernier de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, voilà deux nouvelles dispositions destinées à faire des marchés publics un vecteur de lutte contre les discriminations.

De première part, l’article 149 de la loi a modifié l’article 3 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage afin de permettre aux préfets de départements de se substituer aux collectivités qui ne respecteraient leurs obligations imposées en matière d’accueil des gens du voyage.

Pour rappel, l’article 2 de la loi du 5 juillet 2000 oblige effectivement les collectivités à mettre à disposition des gens du voyages des espaces d’accueil selon les modalités fixées par les schémas en matière d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires permanentes d’accueil, des aires de grand passage et des terrains familiaux locatifs aménagés.

Or, en cas de défaillance de la collectivité, le représentant de l’État pourra désormais se substituer à l’ensemble des organes de celle-ci pour faire procéder d’office à l’exécution des mesures nécessaires, notamment via la passation de marchés publics obéissant aux procédures applicables à l’État. Bien sûr, l’article 3 de la loi du 5 juillet 2000 prévoit également les conditions de consignations des sommes correspondant au montant de ces marchés.

De seconde part, l’article 213 de la loi du 27 janvier 2017 modifie aussi l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 en prévoyant que les conditions d’exécution d’un marché  public pourront désormais tenir compte de la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations.

On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité et la faisabilité de cette disposition. Rappelons que l’article 45 alinéa 4 a) de l’ordonnance interdit déjà l’accès à la commande publique des entreprises ayant été condamnées depuis moins de trois ans pour discrimination, telle que définie par l’article 225-1 du Code pénal ou pour méconnaissance de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (infraction prévue à l’article L. 1146-1 du Code du travail punie d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros, la condamnation est inscrite au bulletin no 2 du casier judiciaire).

En outre, prévoir que l’acheteur public puisse prendre en compte la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations au moyen des conditions d’exécution d’un marché signifie d’insérer une clause au cahier des charges rendant contractuelle une obligation d’exécution des prestations liée à la lutte contre la discrimination. Cela ne semble pas si simple de prime abord. Un guide relatif à la « lutte contre les discriminations et promotion de l’égalité dans l’emploi à travers les clauses des marchés publics » sorti en 2014 par le groupe BUYDIS et soutenu par le ministère de l’Intérieur préconisait sur ce point « de demander aux entreprises de conduire, dans le cadre de la réalisation du marché et au titre de ses conditions d’exécution, une (ou des) action(s)précise(s) de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité au travail » et ajoutait que « le pouvoir adjudicateur doit préciser l’action ou les actions à conduire de telle sorte que toute entreprise candidate puisse en interpréter la portée de la même manière. »

Cependant, l’on peut alors s’interroger du lien que peut avoir ce type d’obligation contractuelle avec l’objet du marché. C’est pour pallier cette difficulté que le rajout opéré par l’article 213 de la loi du 27 janvier 2017 à l’article 38 de l’ordonnance prend soin de ne pas soumettre ce type de condition d’exécution à un lien avec l’objet du marché (art. 38, al. I de l’ordonnance du 23 juillet 2015) : « Les conditions d’exécution d’un marché public peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social ou à l’emploi, à condition qu’elles soient liées à l’objet du marché public. Elles peuvent aussi prendre en compte la politique menée par l’entreprise en matière de lutte contre les discriminations. »

Mais est-ce bien conforme au droit européen ? Le considérant 104 de la Directive 2014/24 indique que « Les conditions d’exécution du marché énoncent des exigences spécifiques liées à l’exécution du marché. Contrairement aux critères d’attribution du marché, qui servent de base à l’évaluation comparative de la qualité des offres, les conditions d’exécution du marché constituent des exigences objectives arrêtées qui n’ont pas d’incidence sur l’évaluation des offres. Les conditions d’exécution du marché devraient être compatibles avec la présente directive pour autant qu’elles ne soient pas directement ou indirectement discriminatoires et qu’elles soient liées à l’objet du marché, y compris tous les facteurs qui interviennent dans le processus même de production, de prestation ou de commercialisation lui-même. Cela comprend les conditions relatives au processus d’exécution du marché, mais exclut les exigences concernant la politique générale d’une société. »

Enfin, à toutes fins utiles, voici le contenu de la discrimination telle que définie par l’article 225-1 du Code pénal [modifié par l’article 86 de la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle] : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou les personnes morales] sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Pour conclure, n’existe-t-il pas un paradoxe, mais peut être n’est-il qu’apparent, d’interdire de marché public les entreprises condamnées en raisons de discriminations et de par ailleurs leur demander de lutter contre celles-ci dans le cadre d’un marché public.

Sources :

  • Loi no 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, art. 213
  • Loi no 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, art. 2 et 3
  • Ordonnance no 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, art. 38 et 45
  • Code pénal, art. 225-1
  • Code du travail, art. L.1146-1