Modification du programme de travaux et validité du contrat d’assurance

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Si le principe de loyauté des relations contractuelles est susceptible de couvrir les irrégularités affectant un contrat administratif, il n’en va pas de même lorsque le consentement de l’une des parties a été provoqué par le dol. Conformément à la jurisprudence Béziers 1, il s’agit là en effet d’une irrégularité telle qu’elle justifie que le contrat soit déclaré nul (CE, Ass., 28 déc. 2009, Béziers 1, nº 304802). Tel est d’ailleurs ce que rappelle cet arrêt rendu le 22 mai 2015 par le Conseil d’État.

En l’espèce, le syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), agissant en sa qualité de maître d’ouvrage, avait passé un marché public d’assurance avec la société AXA Corporate Solutions Assurances aux fins de garantir les éventuels sinistres qui pourraient survenir dans le cadre du programme de construction du premier tramway de l’agglomération valenciennoise. Au cours de l’exécution du marché, la compagnie d’assurance avait cependant refusé d’indemniser un sinistre advenu sur le chantier. Le SITURV avait saisi le tribunal administratif de Lille afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice. Face au rejet de ses demandes indemnitaires, le SITURV interjeta appel devant la cour administrative d’appel de Douai qui y fit droit. C’était toutefois sans compter sur la volonté de la société Axa Corporate Solutions Assurances de se pourvoir en cassation devant la haute juridiction administrative.

Celle-ci se prévalait effectivement de la nullité du marché. D’une part, le contrat litigieux avait été passé en méconnaissance de l’article 79 du Code des marchés publics de 2001, alors applicable, cela dans la mesure où celui-ci prévoyait une date de prise d’effet antérieure à sa signature et à sa notification. D’autre  part, le SITURV avait induit en erreur le titulaire du marché sur la consistance des risques couverts. Celui-ci avait en effet apporté plusieurs modifications au programme des travaux couverts par le marché sans en informer la compagnie d’assurance.

Reprenant la feuille de route établie depuis la jurisprudence Béziers 1, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté contractuelle, de faire application du contrat. Le contrat sera cependant écarté lorsque l’irrégularité invoquée tient au caractère illicite de son contenu, ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Dans cette dernière hypothèse, le litige ne peut effectivement se régler sur le terrain contractuel.

Or, s’agissant de la violation de l’article 79 du Code des marchés publics, le Conseil d’État refuse d’y voir une irrégularité justifiant que l’application du marché public d’assurance soit écartée. L’illégalité des stipulations prévoyant une date de prise d’effet du marché antérieure à sa signature et à sa notification n’étaient, en effet, ni de nature à rendre illicite le marché, ni susceptibles d’avoir vicié le consentement des parties. Dès lors, ne reste plus à la haute juridiction administrative que de rejeter ce premier moyen de cassation. Il convient par ailleurs d'observer que cette solution est transposable aujourd'hui puisque les dispositions de l'article 79 du Code des marchés publics de 2001 sont reprises dans le code actuel.

L’issue est cependant moins sévère pour ce qui est du second moyen de cassation soulevé par la demanderesse. En effet, le Conseil d’État prononce la nullité du marché en ce que la société Axa Corporate Solutions Assurances n’avait pu consentir aux modifications apportées par le SITURV au programme de travaux couvert par le marché public d’assurance. Ce dernier ne l’avait pas informée de ces modifications au moment de la signature du marché, ce qui avait donc induit en erreur la compagnie d’assurance sur la consistance des risques garantis. Or, il s’agit là d’un vice du consentement d’une gravité telle qu’il justifiait que le contrat soit écarté. La haute juridiction administrative accueille donc ce second moyen en annulant l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai.

Cette dernière solution confirme donc une jurisprudence acquise du Conseil d’État selon laquelle un contrat administratif peut être nul pour défaut d’accord de volonté des parties (CE, 11 fév. 1972, OPHLM du Calvados, nº 79402), notamment lorsque le consentement de l’une d’entre elle a été provoquée par le dol (CE, 19 déc. 2007, Société Campenon Bernard, nº 268918). Le principe de loyauté des relations contractuelles ne peut effectivement venir au secours de la validité du contrat.

Cette décision est donc l’occasion de rappeler l’importance, pour les pouvoirs adjudicateurs, de bien tenir compte de l’impact éventuel des modifications apportées à un marché public de travaux sur le marché public d’assurance destiné à garantir les risques liés à son exécution. À défaut, le danger est effectivement de ne pouvoir obtenir l’indemnisation des sinistres qui seraient advenus au cours de son exécution.

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