Nouveau projet d'ordonnance : protéger mais pas ouvrir
La méthode est rodée : une nouvelle version de l’ordonnance de transposition a « fuité », les évolutions du texte sont débattues et peut-être le texte définitif sera-t-il parfaitement adapté aux attentes des acheteurs publics et de leurs fournisseurs. La cinquième version du texte insiste sur l’ouverture des marchés à l’international tout en poursuivant la restriction envers les petites entreprises.
L’ouverture des marchés aux acteurs économiques internationaux demeure une des constantes du texte. Depuis sa première version, il impose aux pouvoirs adjudicateurs d’ouvrir leurs marchés aux entreprises des pays parties à l’accord sur les marchés publics (AMP). Il est vrai que cette obligation existait déjà du fait de la supériorité des traités sur la loi, mais elle serait désormais formalisée. Entre les deux versions du texte, une évolution importante a lieu toutefois : les pouvoirs adjudicateurs peuvent désormais prévoir une exclusion des candidats d’une nationalité non membre de l’AMP. Juridiquement protégés, ils pourront sélectionner des offres selon leur provenance !
Autre protection importante conférée aux acheteurs publics : la possibilité d’exclure des candidats avec qui les relations contractuelles précédentes se sont mal déroulées. L’article 46 de l’ordonnance prévoit que les acheteurs peuvent écarter les candidats qui ont commis des manquements graves ou persistants lors de l’exécution de leurs marchés, notamment s’ils ont été sanctionnés par le versement de dommages et intérêts. De même, les candidats qui ont eu une influence sur la procédure de passation, de manière frauduleuse ou non, et qu’il y ait conflit d’intérêt ou non, et ceux qui sont soupçonnés d’appartenir à une entente peuvent être exclus.
Cette protection suscite des interrogations sur le contentieux qu’elle va générer. L’exclusion des candidats est en principe une entorse au principe d’égalité et de liberté d’accès aux marchés publics. Sur le fond du droit, puisque la relativité de la disposition fait que selon les collectivités, certains candidats pourront postuler et d’autres non, excluant peut-être certains candidats à des achats par groupement de commandes ou centrales d’achats de certaines procédures. Sur le plan procédural ensuite, l’appréciation des manquements, de l’influence qu’ont eu ou sont supposés avoir eu les candidats de même que les ententes est compliquée. Dans les faits, elle pourrait s’approcher de la procédure applicable en cas d’offre anormalement basse. Puisque le candidat est suspecté, il doit prouver par tout moyen et dans un délai raisonnable, à l’invitation de l’acheteur, son « professionnalisme et sa fiabilité ». Or, si cette procédure est à peu près applicable en matière d’offre anormalement basse, puisqu’est contrôlé le réalisme technique et financier de l’offre, elle semble l’être beaucoup moins en matière de conflit d’intérêt, d’entente ou de manquements antérieurs. La source contentieuse pourrait provenir non seulement du candidat écarté, mais aussi des candidats évincés qui souhaitent annuler la procédure. La clef du conflit sera sans doute le contrôle par le juge de l’erreur manifeste d’appréciation de l’acheteur.
Le contrôle de la sous-traitance dès la phase de passation est un nouvel élément de protection de la personne publique, qui n’existait pas dans les versions antérieures : un noyau dur de prestations pourra être demandé au titulaire. L’acheteur a un dialogue direct avec le véritable prestataire, sans que l’exécution soit ankylosée par des démarches juridiques et financières supplémentaires.
Par ailleurs, alors que l’offre anormalement basse a fait son retour dans la précédente version de l’ordonnance, celle-ci introduit un contrôle de l’offre de sous-traitance anormalement basse. Calquée sur le contrôle de l’offre anormalement basse, l’acheteur pourra demander des explications au sous-traitant. Si celles-ci ne sont pas satisfaisantes, l’acheteur pourra soit exclure le sous-traitant lors de la sélection des offres, si la réponse du sous-traitant a lieu lors de cette phase, soit ne pas l’accepter lors de la phase d’exécution, si le pouvoir adjudicateur ne l'apprend qu'à ce moment.
Alors que la précédente version de l’ordonnance se distinguait par son peu d’ouverture aux petites et moyennes entreprises, cette nouvelle mouture poursuit la tendance mais en protégeant beaucoup plus les acheteurs publics. Protégés financièrement par la variabilité des montants des lots leur permettant de bénéficier de prix dégressifs et par la sélection des sous-traitants, protégés juridiquement par la possibilité d’exclure discrétionnairement des candidats suspectés de mal se comporter et protégés sur le plan international pour leur permettre d’exclure les candidats de pays hors AMP, les acheteurs publics sont dotés de nouvelles armes pour sécuriser leurs marchés. Ce qui se fait peut-être au détriment de la liberté d’accès, que cela soit comme titulaire ou comme sous-traitant.
Sources :
- Le nouveau projet d’ordonnance
- « Nouveau projet d'ordonnance : la défaite des PME ? » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 129