Services financiers et marchés publics

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Le secteur bancaire, après celui de l’assurance, essaie de résister à la mise en concurrence organisée par le Code des marchés publics (CMP). Plus que l’obligation de mise en concurrence, ce qui gêne les banquiers est l’ambiance contractuelle de droit public qui en résulterait. Dans une première partie, nous allons examiner quels sont les contrats à caractère financier soumis au Code des marchés publics, puis nous aborderons plus en détail le service financier sur lequel se cristallise les enjeux : les emprunts qui, depuis qu’ils deviennent « toxiques », devraient très certainement revenir dans le giron de la commande publique.

I. L’exclusion de principe des services financiers

Les contrats de services financiers, parce qu’ils sont régis par des pratiques séculaires où l’intuitu personae est prégnant et le secret la règle, les contrats de services financiers sont exclus du champ d’application du Code des marchés publics (CMP), sauf s’ils sont conclus en relation avec un achat ou une location immobilière.Ainsi, l’article 3, alinéa 5, du CMP exclut du Code les « accords-cadres et marchés de services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers et à des opérations d'approvisionnement en argent ou en capital des pouvoirs adjudicateurs, sous réserve des dispositions du 3° ».Les dispositions du 3° alinéa indiquent quant à elles l’exclusion du Code des « accords-cadres et marchés de services qui ont pour objet l'acquisition ou la location, quelles qu'en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles, ou qui concernent d'autres droits sur ces biens ; toutefois, les contrats de services financiers conclus en relation avec le contrat d'acquisition ou de location, sous quelque forme que ce soit, entrent dans le champ d'application du présent code ».Les services financiers, lorsqu’ils sont soumis au CMP, dépendent alors de l’article 29 du Code où ils sont listés (CMP, art. 29, al. 6). Ils ne relèvent donc pas du formalisme allégé prévu par l’article 30 du CMP. C’est le cas, par exemple, des contrats de courtage d’emprunts (TC, 14 février 2000, Commune de Baie-Mahault et Société Rhoddlams, n° 03138).Il en résulte que si le contrat de service financier relève du CMP, il sera un contrat administratif. Sinon il sera un contrat de droit privé, à moins que la collectivité y introduise des clauses exorbitantes, ce qui est rarement le cas (Civ. 1re, 24 octobre 2000, Commune de Saint-Valéry-sur-Somme, n° 98-19978). 

II.  La problématique des emprunts

Le décret n° 2005-601 du 27 mai 2005 avait exclu du CMP les emprunts destinés à la couverture d'un besoin de financement ou de trésorerie des pouvoirs adjudicateurs. Suite à la jurisprudence du Conseil d’État du 23 février 2005, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics, n° 264712, les emprunts avait été expressément soumis au champ d’application du Code des marchés publics, car cela contrevenait à la directive européenne 92/50 du 18 juin 1992. Avec le Code des marchés publics 2006, « les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital », c'est-à-dire les emprunts, sont de nouveau exclus du champ d’application du Code, exclusion permise par l’entrée en vigueur de la directive européenne 2004/18 et de son article 16 d.  En effet, l’article 16 d de cette directive ajoute comme exclusion à son champ d’application « les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital », autrement dit les emprunts. Simple concession politique de la part de la Commission européenne, cette dernière reste cependant réticente à cette exclusion du champ des directives des marchés publics, ce qui explique que la proposition de nouvelle directive par la Commission européenne du 20 décembre 2011 semble expressément soumettre les emprunts au droit des marchés publics. En effet, elle supprime, cette fois-ci, la phrase concernant « les opérations d'approvisionnement en argent ou en capital » à l’article 10 d relatif aux exclusions spécifiques pour les marchés de services.La volonté de la Commission de soumettre les emprunts au champ d’application de la directive sur les marchés publics s’explique par la nécessité juridique de respecter le contenu de l’accord sur les marchés publics (AMP). En effet, l’accord AMP, en son annexe 4, spécifie les services, que la liste en soit positive ou négative, qui sont visés ou concernés par  l’accord. La seule exclusion à l’accord concernant les services financiers est celle relative aux « marchés des services financiers relatifs à l'émission, à l'achat, à la vente et au transfert de titres ou d'autres instruments financiers, ainsi que des services prestés par des banques centrales ».C’est dans ce contexte que la position française est en train d’évoluer sur le sujet, plus spécifiquement concernant les emprunts dits « toxiques ».

III. Les emprunts « toxiques » : vers une soumission au droit des marchés publics

Les emprunts « toxiques » concernent des emprunts, dits « structurés », contractés par les collectivités depuis 1995. Ils ne se sont avérés « toxiques » qu’avec la crise financière de 2008 qui a eu pour effet le renchérissement des charges financières des collectivités locales.Les emprunts structurés, principalement proposés par la banque Dexia, sont définis par la circulaire du 25 juin 2010 « comme des prêts dont les intérêts ne sont pas déterminés en référence à des index standards tels que EONIA ou l'EURIBOR (ces index non standards comprennent des index fondés sur l'inflation, les taux de change, sur la différence entre un taux long et un taux court...), voire sont appliqués selon des formules non linéaires, de sorte que l'évolution des taux supportés est plus que proportionnelle à l'évolution de l'index lui-même (ce sont, notamment, les produits affectés de cœfficients multiplicateurs) ».Face à la situation dramatique que connaissent certaines collectivités, une commission d’enquête parlementaire a été créée en juin 2011 avec pour mission de se pencher sur « les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux ». Dans son rapport rendu le 6 décembre 2011, elle considère que les emprunts ne doivent pas être soumis au Code des marchés publics, mais juge souhaitable que « la souscription des emprunts des collectivités territoriales [respecte], dans tous les cas, les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures suivies par les personnes publiques ». Ce qui semble contradictoire puisque les principes sus-mentionnés sont ceux qui sous-tendent la réglementation des marchés publics. Pour répondre aux voeux des parlementaires, il suffirait de soumettre les emprunts au Code des marchés publics mais avec un régime juridique de passation allégé. Ainsi le négocié ou la procédure adaptée de l’article 30 du code permettraient à ces contrats d’être soumis aux principes fondamentaux de la commande publique tout en évitant le droit commun de l’appel d’offres, effectivement incompatible avec ce type de contrat.La Cour des comptes à l’occasion de son rapport sur la gestion de la dette publique locale de juillet 2011, a laissé entendre qu’une soumission au droit des marchés publics serait la bienvenue pour faire face aux « emprunts toxiques ». Ainsi, elle préconise de « mettre fin aux incohérences entre les textes régissant l’exercice du contrôle de légalité sur les contrats de prêts afin que ces contrats soient clairement soumis à une obligation de transmission au contrôle de légalité » (p. 48 de ce rapport), mais aussi et surtout de « systématiser les mises en concurrence des établissements bancaires lors de chaque opération de financement ou de réaménagement, en recourant à une large consultation et en s’appuyant sur un cahier des charges précis » (p. 94).Sources :