Sous une paillote de plage, le juge européen n’oublie pas la libre concurrence…

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Les spécialistes des marchés publics seront-ils consultés demain sur des procédures très différentes de l’achat, pour éclairer également les personnes publiques qui valorisent leur patrimoine sur les règles fondamentales de liberté d’accès, d’égalité de traitement et de transparence des procédures ? À la lecture du dernier arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public en Italie, il y a bien lieu de s’interroger.

Le cas d’espèce est, il est vrai, très éloigné du droit des marchés publics, mais pas forcément de la commande publique. Dans la première affaire, le contentieux s’était noué sur la possibilité de proroger tacitement et sans remise en concurrence ni publicité une convention portant un droit d’utiliser un bien public domanial moyennant le versement d’une redevance périodique à l’administration propriétaire de ce bien en faisant porter au co-contractant privé le risque d’exploitation. La seconde portait sur l’attribution d’autorisations d’occupation d’une plage en nombre limité pour préserver l’équilibre naturel, mais sans procédure de publicité ni de mise en concurrence particulière. Dans ces deux cas, loin de bénéficier directement d’une prestation, une personne publique permet contre redevance à une personne privée d’occuper le domaine public pour le valoriser à sa place. Or, pour le juge communautaire, une telle valorisation n’est certes pas une concession de service (au sens de l’ordonnance de 2014), mais l’octroi de telles autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate.

Dès lors, la prorogation automatique des concessions sur le domaine public en cours, et destinées à l’exercice d’activités touristiques et de loisirs, et dans la mesure où ces concessions présentent un intérêt transfrontalier certain (en l’espèce, seule la concession sur les bords du lac de Garde a été considéré ainsi), n’est pas conforme au droit.

La décision du juge européen pourrait bien faire frémir les pouvoirs publics qui accordent des autorisations d’occupation du domaine public. Classiquement, elles n’étaient soumises ni à des procédures de publicité ni des procédures de mise en concurrence, y compris pour les AOT assortie de travaux (CE, 10 mars 2006, Société Unibail Management, n° 284802). L’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics a limité les risques de contournement de la summa divisio entre AOT et marchés publics, en interdisant les modèles dits « d’aller-retour ».

Or, en tissant dans une même analyse, bien quantitativement limité, marché à intérêt transfrontalier certain et nécessité de respecter les règles de libre accès au même marché, le juge européen ouvre la voie à une mise au pas de telles autorisations. Le pouvoir règlementaire français a par exemple débuté le rapprochement entre les deux régimes avec l’ordonnance sur les gares routières, dans le même esprit : des places limitées et un intérêt stratégique pour le contrôle du marché des « cars Macron » dans des gares détenues par des personnes publiques. Il impose à ces dernières de les attribuer de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée. Le contrôle de ces dispositions est confié à une autorité administrative indépendante.

Si les procédures en la matière ne sont pas définies aussi précisément qu’en matière d’achat public (un simple appel à proposition pouvant être utilisé), la dernière décision de la Cour de justice de l’Union européenne témoigne d’un renforcement progressif des obligations pesant sur les personnes publiques lorsqu’est en jeu son patrimoine public, qu’il s’agisse des deniers ou du domaine !

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