Un candidat en situation fiscale ou sociale irrégulière peut signer un marché pour le juge communautaire
Saisi d'une question préjudicielle sur le droit italien, le juge communautaire a reconnu, sous certaines conditions très particulières, la possibilité de signer un marché pour un candidat n'ayant pas réglé ses cotisations sociales.
Le choix d’un contractant pour exécuter un marché public ne répond pas seulement aux exigences de respect des principes fondamentaux de la commande publique et de choix de l'offre économiquement la plus avantageuse. Le candidat retenu doit également être en règle du paiement des prélèvements obligatoires : impôts et prélèvements sociaux. Les formulaires de déclaration de candidature permettent au pouvoir adjudicateur de recevoir, en comptant sur la bonne foi des candidats, une première assurance de ce respect. Ce n’est qu’au stade de la signature de l’acte d’engagement que le candidat retenu doit présenter soit ses certificats de régularité fiscale et sociale (liasse fiscale 3666 et certificats sociaux), soit le formulaire unique (NOTI 2).
Ces règles se retrouvent dans les ordres juridiques voisins. Le droit des marchés publics italien impose au candidat retenu de produire un document unique de régularité en matière de contribution sociale délivré par l’administration fiscale et sociale. Ce document fait état non seulement de la régularité mais également, en cas de dette du candidat envers le Trésor, du montant de celle-ci. Or, il appartient aux pouvoirs adjudicateurs d’écarter un candidat en situation d’irrégularité grave, c’est-à-dire qui présente une dette supérieure ou égale à un écart de 5 % entre les sommes dues et celles versées pour chaque période de versement de rémunération ou de cotisations et en tout état de cause inférieure à 100 €. En-deçà de ce seuil, le candidat est recevable à la condition de régulariser sa situation dans un délai de 30 jours.
Le juge du droit de l’Union européenne s’est prononcé le 10 juillet dernier sur la conformité de cette disposition italienne avec les traités et la directive 2004/18. Étaient en cause la proportionnalité de cette mesure vis-à-vis des objectifs de liberté de circulation et d’établissement ainsi que le respect des règles fondamentales de la commande publique, soulevés par un candidat initialement retenu mais qui fut évincé du fait d’une irrégularité sociale de 278 euros. Le juge national interroge la Cour sur le principe de proportionnalité de la mesure en cela qu’écarter un candidat en raison d'une dette sociale si faible au regard du montant du marché (plus de 4 millions d’euros), pourrait être discriminatoire.
La Cour de justice de l’Union européenne répond à la question à la fois sur le principe et sur le niveau du seuil.
Concernant le principe, elle se fonde sur l’article 45 de la directive marchés publics de 2004, qui permet aux autorités nationales de prévoir l’exclusion d’un candidat pour motif d’intérêt général. Elle répond ainsi à la question en mettant en avant le fait de « s’assurer de la fiabilité, de la diligence et du sérieux du soumissionnaire ainsi que du comportement correct de celui-ci vis-à-vis de ses salariés » et de « s’assurer qu’un soumissionnaire possède de telles qualités [ce qui] constitue un objectif légitime d’intérêt général ». Ainsi, définir un seuil sous lequel la situation peut être régularisée « garantit non seulement l’égalité de traitement des soumissionnaires mais aussi la sécurité juridique, principe dont le respect constitue une condition de la proportionnalité d’une mesure restrictive ».
Concernant le niveau du seuil, qui répond en l’espèce à un double critère, le juge rappelle que les autorités nationales sont libres d’apporter des assouplissements aux règles communautaires pour les marchés dont les montants se situent en-deçà des seuils des marchés formalisés.
Cette dernière précision n’est pas une évidence logique : d’une part, il est permis aux autorités nationales d’interdire l’accès des marchés à certains candidats en situation irrégulière pour motif d’intérêt général, mais d’autre part, il est permis de déroger à ce motif d’intérêt général pour certains montants. La faiblesse des montants et surtout l’obligation de régulariser permet aux yeux du juge du droit de l’Union d’assurer le respect des objectifs des traités et de la directive.
D’un point de vue français, cette décision intrigue néanmoins dans la mesure où les règles internes sont beaucoup plus strictes. Soit le candidat est en situation irrégulière, et il ne peut pas signer l’acte d’engagement, soit il est en situation régulière et il peut signer. Sans remettre en cause notre droit national, cette décision permet de s’interroger, à l’heure de la simplification administrative et d’une réforme profonde du droit des marchés publics, si certains candidats en situation irrégulière minime ne pourraient pas néanmoins conclure des marchés à l’instar des candidats en situation de redressement judiciaire.
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