Une facture peut-elle être considérée comme un décompte général ?
Une facture produite par le pouvoir adjudicateur dans le cadre d’un marché de service a-t-elle la même valeur que le décompte général définitif établi pour un marché de travaux ? Le Conseil d’État a, dans un arrêt du 17 mars dernier, effectué un parallèle qui semble étonnant entre les deux modes de règlement d’un marché.
En l’espèce, la région Lorraine avait conclu avec la société CS BTP un marché de services à bons de commande portant sur la coordination sécurité et protection de la santé des travaux de maintenance des lycées. La société avait adressé des factures à la collectivité, qui les lui a renvoyées avec des corrections. Or, la société CS BTP a finalement contesté ces factures, mais plus de 25 jours après leur émission. Le cahier des clauses administratives particulières du marché précisait qu’après achèvement de la mission du prestataire, un projet de décompte devait être transmis par le titulaire du marché. En cas de modification par le pouvoir adjudicateur de ce projet de décompte, « le titulaire dispose d'un délai de 25 jours, à compter de la notification du nouveau décompte par la personne responsable du marché, pour présenter une réclamation au maître d'ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le nouveau décompte ». La société a donc adressé ses réclamations trop tard.
Mais cette dernière a saisi les juges, contestant la nature des factures modifiées par le pouvoir adjudicateur. Pour l’entreprise, ces factures n’ont en aucun cas la valeur d’un « décompte ». Pourtant, le Conseil d’État, dans son arrêt du 17 mars, donne raison à la région Lorraine. Il estime qu’il est possible de regarder « les factures de la société requérante que la région lui a retournées après les avoir notamment rectifiées, comme des décomptes généraux, alors même que ces factures ne portaient pas cet intitulé mais comportaient toutes les mentions requises par les stipulations du cahier des clauses administratives particulières et avaient été signées par un représentant de la personne responsable du marché ».
L’usage du terme « décompte » dans ce cas précis peut porter à confusion. Le décompte général est le document élaboré par le maître d'œuvre qui prépare, sur la base du projet de décompte final transmis par le titulaire, ce qui devient le décompte général et définitif une fois accepté par les deux parties du marché et donne lieu au paiement des sommes dues. Il n’a pas à être utilisé dans le cadre d’un marché de services. Cependant, dans le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de fournitures et de services, pour le paiement d’un marché, il n’est pas fait mention de décompte général définitif. Le terme décompte n'apparaît qu'à propos de la demande de paiement : « si, après avoir été mis en demeure de le faire, le titulaire du marché ne produit pas sa demande de paiement, dans un délai de quarante-cinq jours courant à compter de l’admission des prestations, le pouvoir adjudicateur peut procéder d’office à la liquidation, sur la base d’un décompte établi par ses soins. Ce décompte est notifié au titulaire » (CCAG FCS, art. 11). Il semblerait donc que le Conseil d’État ait assimilé les factures de la région Lorraine à un décompte, qui s’entend au sens de facture propre à un marché de services, et non de décompte général relatif à un marché de travaux, en se fondant uniquement sur les stipulations contractuelles contenues dans le cahier des clauses administratives particulières propres à ce marché.
Il est également intéressant de relever que le pourvoi de l’entreprise requérante a été rejeté tout d’abord en appel parce que celle-ci n’a pas contesté la facture modifiée par la région dans les délais légaux. Le Conseil d’État ne revient pas sur cette question qui signifie qu’en cas de non-contestation de la facture, celle-ci est acceptée tacitement. Ce procédé rappelle la mise en place récente pour les marchés de travaux d’un « décompte général tacite ».
En effet, depuis le 1er avril 2014, en l’absence de remarques du pouvoir adjudicateur, 30 jours après réception du projet de décompte final de l’entreprise, cette dernière lui notifie le projet de décompte général. Dix jours plus tard, le décompte devient le décompte général définitif tacite, en l’absence de réaction du pouvoir adjudicateur. Entreprises et pouvoirs adjudicateurs doivent donc être très vigilants et réactifs dans le contrôle des prestations demandées et de leur paiement afin de pouvoir les contester ou les modifier le cas échéant.
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