Quatre questions à Bernard-Michel Bloch, avocat au barreau des Hauts-de-Seine

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L’ordonnance relative aux marchés publics a été publiée et la version retenue témoigne d’une rupture nette avec le Code des marchés publics. Les acheteurs publics vont-ils devoir revoir toutes leurs procédures ?

Il est trop tôt pour l’affirmer, car la description des procédures de passation, tout comme les précisions concernant les règlements (avances et acomptes) et les garanties, figureront dans le décret d’application, la matière relevant du domaine réglementaire.

À mon avis, si changement il y a, ce sera à la marge : aucun bouleversement n’est à attendre sur les méthodes employées. Tout au plus peut-on penser qu’une harmonisation sera opérée pour que l’on retrouve, quel que soit le pouvoir adjudicateur ou quelle que soit l’entité adjudicatrice, le même processus de passation et d’attribution du marché en fonction de la procédure choisie.

Quels sont les points particuliers qui doivent retenir l’attention des acheteurs publics ?

Parmi les nouveautés que j’ai relevées à la lecture de l’ordonnance, il faut noter :

  • l’article 40 qui impose une évaluation préalable du projet, lorsque le marché envisagé « porte sur des investissements dont le montant hors taxe est égal ou supérieur à un seuil fixé par voie réglementaire » ;
  • l’article 48 qui traite des « interdictions de soumissionner facultatives » eu égard au comportement antérieur des candidats (exclusions qui ne peuvent être prononcées qu’après avoir mis ces derniers en mesure de se justifier « dans un délai raisonnable et par tout moyen ») ;
  • l’article 52 qui, pour la première fois, précise que « les critères d’attribution n’ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l’acheteur », une véritable concurrence devant être préservée.

En intégrant dans les marchés publics les marchés de partenariat, peut­-on considérer que la règle de l'allotissement n’est plus un principe, mais une alternative égale aux marchés globaux ?

Non, je ne crois pas que l’allotissement soit affaibli, bien au contraire : il se trouve renforcé déjà par le fait qu’il devient la règle pour tous les pouvoirs adjudicateurs (alors qu’actuellement ceux soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 n’ont pas l’obligation d’allotir). En outre, la volonté des pouvoirs publics de favoriser l’accès des PME à la commande publique passe évidemment par l’allotissement. Enfin, on trouve dans l’ordonnance du 23 juillet 2015 une disposition importante qui ne figurait pas jusqu’ici dans les textes : l’article 32, II précise : « Lorsqu’un acheteur décide de ne pas allotir un marché public, il motive son choix selon des modalités fixées par voie réglementaire ».

S’agissant des marchés de partenariat, leur intégration dans les règles de la commande publique s’imposait en raison de la législation européenne ; les conditions du recours à une telle formule sont synthétisées à l’article 76. Il en est de même des marchés globaux (art. 33 et 34)

La possibilité de recourir à des groupements d’achat dans des pays membres de l’Union européenne et ainsi être soumis au droit local de la commande publique va-­t-­il révolutionner le travail du juge ? En particulier, quels sont les principes d’ordre public auquel les acheteurs publics ne pourront déroger en achetant grâce à ces groupements internationaux ?

Les articles 26, 28 et 29 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ouvrent la possibilité aux acheteurs publics de recourir à des centrales d’achat situées dans un autre État de l’Union européenne, de constituer des groupements de commandes avec des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices d’autres États membres, ou encore d’adhérer à une entité commune transnationale européenne. Dans tous les cas, ces choix ne peuvent « avoir pour but de se soustraire à l’application de dispositions nationales qui intéressent l’ordre public ».

On pense immédiatement ici au respect de l’ordre public social français, tel qu’il découle notamment de la loi no 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, et des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail ratifiées par la France et dont la liste figure sous les articles 6 du CCAG-FCS et du CCAG-Travaux. À n’en pas douter, ces textes feront l’objet d’une application vigilante par les tribunaux.

Propos recueillis par Pablo Hurlin-Sanchez