Acheteurs publics, cliquez avant de signer un marché !

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Par une décision rendue le 17 octobre 2016, le Conseil d’État illustre quelles peuvent être les conséquences de la signature d’un marché alors même qu’un référé précontractuel aurait été communiqué à l’acheteur public quelques heures auparavant via l’application Télérecours. À l’heure de la dématérialisation des communications et des procédures, cette décision est donc l’opportunité de savoir si, dans le cadre de la passation d’un marché, l’acheteur public sera tenu désormais d’être aussi alerte que connecté jusqu’au terme de la procédure.

En l’espèce, le ministère de la Défense avait lancé une consultation relative à la passation d’un marché public de collecte et de gestion des déchets. La société Tribord, qui s’était portée candidate pour le lot no 2 du marché, avait vu son offre rejetée au motif que le pouvoir adjudicateur n’avait pas été en mesure de vérifier la signature électronique du formulaire DC1 et de l’acte d’engagement. Cette société avait alors saisi le tribunal administratif de Rennes d’un recours en référé précontractuel. La notification de ce recours avait été transmise par le greffe du tribunal le 26 avril 2016 à 12h17, via l’application informatique Télérecours. Le même jour, à 17h07, le marché était cependant signé. Conformément à l’article L. 551-14 du Code de justice administrative, la société Tribord se désista donc de son référé précontractuel et présenta un référé contractuel afin d’obtenir l’annulation du marché. Le juge des référés ayant fait droit aux demandes de la société Tribord, le ministère de la Défense forma alors un pourvoi en contestant, non seulement la recevabilité du référé, mais aussi le motif d’annulation du marché.

Le Conseil d’État confirma toutefois l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Rennes.

S’agissant d’abord de la recevabilité du recours en référé contractuel, la haute juridiction administrative rappelle, conformément à l’article L. 551-4 du Code de justice administrative, qu’un pouvoir adjudicateur est tenu de suspendre la signature du marché à compter de la communication d’un recours en référé précontractuel par le greffe du tribunal administratif. En cas de non-respect de cette obligation, l’auteur du recours peut alors agir en référé contractuel et obtenir, sous certaines conditions, l’annulation du marché. Il s’agit ainsi de convaincre les pouvoirs adjudicateurs de ne pas signer un marché afin de faire échec à une procédure en référé précontractuel. La logique est donc claire. Mais cette même logique doit-elle être également appliquée dans le cas d’un référé précontractuel seulement notifié via l’application Télérecours, et ce uniquement quelques heures avant la signature du marché ? La réponse est affirmative pour le Conseil d’État dès lors que l’article R. 611-8-2 du Code de justice administrative admet, pour les procédures d’urgence, que la notification d’un recours est réputée reçue dès sa mise à disposition dans l’application Télérecours. Le faible délai entre la notification du recours et la signature du contrat, ainsi que la forme dématérialisée de cette notification n’est donc pas un obstacle... Acheteurs publics, il importe donc de cliquer avant de signer !

S’agissant ensuite du motif d’annulation, à savoir le caractère prétendument irrégulier de l’offre présentée par la société Tribord, le Conseil d’État rejette également, le moyen développé par le ministère de la Défense et tenant à l’incapacité de vérifier la signature électronique du DC1 et de l’acte d’engagement. De première, pareille argumentation n’établissait pas que la société Tribord n’avait pas signé ces documents. De deuxième part, il résultait de l’instruction que cette société avait bien respecté la procédure prévue par l’arrêté ministériel du 15 juin 2012 relatif à la signature électronique dans les marchés et par le règlement de consultation. De troisième et dernière part, le ministère de la Défense n’était lui-même pas parvenu au cours des débats à expliquer précisément les raisons techniques pour lesquelles la validité de la signature n’avait pu être vérifiée.

À noter enfin, s’agissant de l’office du juge des référés, que le Conseil d’État rejette aussi le moyen développé par le ministère de la Défense relatif à la possibilité pour le juge d’infliger une sanction autre que l’annulation du contrat, et notamment une simple pénalité financière, en cas de non-respect de l’obligation de suspension prévue à l’article L. 551-4 du Code de justice administrative (voir art. L. 551-20 du Code de justice administrative). La haute juridiction administrative relève en effet qu’en l’espèce, le ministère de la Défense a non seulement méconnu ses obligations au titre de l’article L. 551-4 susmentionné, mais a également commis un autre manquement affectant les chances de la société Tribord d’obtenir le contrat et tiré de l’irrégularité du rejet de son offre. Dans ces conditions, le juge administratif n’avait donc pas commis d’erreur de droit en ne faisant pas usage de son pouvoir de modulation de la sanction.

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