Conditions d’attribution des marchés subséquents d’un accord-cadre mono-attributaire
Le Conseil d’État précise la possibilité de prévoir des critères pour l’attribution des marchés subséquents d’un accord-cadre mono-attributaire (CE, 6 nov. 2020, no 437718, Métropole européenne de Lille).
L’accord-cadre à marchés subséquent constitue une « technique d’achat » au sens du Code de la commande publique ; distincte de l’accord-cadre à bons de commandes en ce qu’elle permet de préciser, lors de la passation des marchés subséquents, des caractéristiques et modalités d’exécution des prestations demandées qui n’auraient pas été fixées dans l’accord-cadre initial. Il s’agit d’un outil qui, bien utilisé, va jusqu’au bout de la logique de l’accord-cadre en permettant une véritable souplesse pendant la durée du contrat.
Cet accord-cadre peut être conclu avec un seul titulaire (« mono-attributaire »), ou avec plusieurs titulaires (« multi-attributaires ») afin de permettre une remise en concurrence périodique lors de la passation des marchés subséquents. Tout l’intérêt d’un accord-cadre à marchés subséquents réside alors dans cette remise en concurrence des titulaires en cours de marché, laquelle peut être de nature à permettre des baisses de prix. Les conditions de cette remise en concurrence sont fixées à l’article R. 2162-10 du Code de la commande publique, le marché subséquent étant ainsi attribué au titulaire de l’accord-cadre ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base des critères énoncés dans l’accord-cadre.
Dans l’hypothèse où l’accord-cadre est conclu avec un seul titulaire, par définition, il n’y a pas de remise en concurrence. Et c’est justement un accord-cadre à marchés subséquents mono-attributaire que la Métropole européenne de Lille a choisi de conclure pour l’aménagement audiovisuel de ses bâtiments. La procédure de passation prévoyait l’attribution de l’accord-cadre et, simultanément, du premier marché subséquent.
La société Manganelli Technology, éliminée de la procédure de passation, a obtenu l’annulation de cette dernière devant le tribunal administratif de Lille, notamment au motif que la mention de critères de sélection pour l’attribution du premier marché subséquent était susceptible d’induire en erreur les candidats, dès lors que l’accord-cadre, mono-attributaire, ne pouvait entraîner de remise en concurrence.
On le sait, les candidats à l’attribution d’un accord-cadre doivent être informés des critères d’attribution des marchés subséquents dès la mise en concurrence initiale, conformément à la jurisprudence Union des groupements d'achats publics (« UGAP ») du Conseil d’État (CE, 5 juill. 2013, nos 368448, 368461). Cette jurisprudence portait sur un accord-cadre multi-attributaire ; de telle sorte que la question qui suit semble assez évidente : pourquoi fixer des critères d’attribution des marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire qui n’implique pas de remise en concurrence ?
Cette question, le rapporteur public Marc Pichon de Vendeuil y répond de la manière suivante : « En effet, dans cette configuration et peut-être plus encore que dans la précédente, l’acheteur public a tout intérêt à pouvoir s’assurer de la qualité des futures offres proposée par l’unique titulaire, en édictant des critères minimaux qui évitent que ce dernier ne se repose sur ses lauriers de mono-attributaire. Le mono-titulaire ne tire certes aucun droit à l’attribution des marchés subséquents, mais il est sans doute bon, au-delà de ce seul principe, de mettre en place les conditions pour que l’attribution des marchés subséquents ne présente pas un caractère automatique. »
Le Conseil d’État va suivre ce raisonnement, et annuler l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille : il est ainsi possible de prévoir des conditions d'attribution pour les marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire, sous réserve bien sûr d’en informer les candidats dès la mise en concurrence initiale. Le Conseil d’État confirme également, à cette occasion, la possibilité d’attribuer simultanément l’accord-cadre et le premier marché subséquent.
Ainsi, peu importe qu’il n’y ait qu’un seul titulaire à l’accord-cadre : l’acheteur peut, pour lui attribuer un marché subséquent, noter son offre et l’analyser. Les implications pratiques de cette décision laissent toutefois assez circonspect : certes, l’article R. 2162-10 relatif aux modalités de remise en concurrence ne porte que sur les accords-cadres multi-attributaires. Toutefois, l’article R. 2162-9 précise bien que pour un accord-cadre mono-attributaire, le pouvoir adjudicateur attribue les marchés subséquents dans des conditions fixées par l’accord-cadre : ce qui implique donc que l’attribution ne présentait pas, en tout état de cause, un caractère automatique. La clarification a donc finalement des airs d’évidence…
Libre à l’acheteur public de prévoir des critères d’attribution de marchés subséquents, mais on notera que si l’offre de son unique titulaire ne lui convient pas, il n’a de toute façon aucune obligation de lui attribuer le marché : la plus-value d’une mise en place de critères reste donc, en un sens, assez discutable.