De la responsabilité du comptable en cas de non-respect du formalisme du marché
L’affaire était restée en suspens depuis la décision remarquée du Conseil d’État du 8 février 2012, la Cour des comptes vient d’en écrire le point final.
Un comptable public avait réglé des prestations d’un montant légèrement supérieur au seuil à partir duquel un écrit est nécessaire selon l’article 11 du Code des marchés publics, alors que le contrat n’avait pas été conclu par écrit. La cour régionale des comptes de Franche-Comté, le 30 avril 2009, avait qualifié le comptable de débiteur envers la personne publique qui avait réglé la facture, en cela qu’il avait payé une dépense irrégulière. Le comptable s’était pourvu en cassation devant le Conseil d’État contre l’arrêt de la Cour des comptes qui avait confirmé, le 6 mai 2010, la décision de la chambre régionale des comptes.
Le Conseil d’État affirme, dans sa décision de février 2012, que les pièces justificatives qui doivent être demandées par le comptable sont comprises dans la nomenclature fixée alors par le décret n° 2003-301 du 2 avril 2003. Or, cette liste fait implicitement référence au caractère écrit ou non du contrat selon l’article 11 du Code des marchés publics. En l’absence de la fourniture du contrat écrit au comptable, « il [lui] appartient, devant cette insuffisance apparente des pièces produites pour justifier la dépense correspondant à un marché public sans formalités préalables faisant nécessairement l'objet d'un contrat écrit en vertu de la réglementation applicable, de suspendre le paiement et de demander à l'ordonnateur la production des justifications nécessaires ». Pour autant, la Cour des comptes n’avait pas recherché si le comptable avait demandé à l’ordonnateur d’engager sa propre responsabilité sur ce paiement, ce qui empêche la condamnation du comptable selon le Conseil d’État.
La Cour des comptes devait statuer au fond pour conclure la procédure. Dans son arrêt du 7 juin dernier, elle prend le soin de corriger son erreur et constate que le comptable n’avait pas demandé de certificat à l’ordonnateur « par lequel ce dernier déclare avoir passé un contrat oral et prend la responsabilité de l'absence de contrat écrit ». En l’absence de ce document, le juge financier applique la solution du Conseil d’État et confirme la condamnation du comptable par l’arrêt de la chambre régionale des comptes.
Outre la confirmation de la responsabilité du comptable, ces arrêts du Conseil d’État et de la Cour des comptes précisent les contours du rôle du comptable public. En principe, sa mission est de contrôler la régularité des comptes. Pour régler un paiement, il doit s’assurer que l’ordonnancement est régulier. Il est donc exclu qu’il opère un contrôle de légalité des actes.
Ainsi, et tel est l’objet des présentes décisions, dans le cadre de sa mission de contrôle de la régularité, les exigences de formalisme applicables aux contrats, et en particulier aux marchés publics, doivent bien être contrôlées. Le comptable n’est pas condamné parce que le marché avait été passé sous forme consensuelle alors que la forme écrite était requise, mais parce qu’il n’avait pas exigé de l’ordonnateur les explications sur la forme du contrat !
La nuance est d’importance, et rassurera les comptables, car tant qu’ils exigent les informations énoncées dans le décret n° 2007-450 du 25 mars 2007 et, si celles-ci leur sont refusées, tant qu’ils demandent un certificat qui leur permet de transférer la responsabilité sur l’ordonnateur, ils ne risquent pas d’être condamnés par le juge financier selon la procédure du débet.
Pour les acheteurs publics, la conséquence est autre : afin de sécuriser leurs finances, il est nécessaire de bien veiller au respect des règles de l’article 11 du Code des marchés publics.
Sources :
- C. comptes, 7 juin 2013, Centre communal d'action sociale de Polaincourt, n° 67189
- CE, 8 février 2012, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'État, n° 340698
- C. comptes, 6 mai 2010, Centre communal d'action sociale de Polaincourt, n° 57767
- CRC Franche-Comté, 9 avril 2009, Centre communal d'action sociale de Polaincourt, n° 2009-0003
- CMP, art. 11
- Décret n° 2007-450 du 25 mars 2007 modifiant le Code général des collectivités territoriales (partie réglementaire)
Lire également :
- « Le comptable n’a pas à apprécier l’opportunité des décisions de l’ordonnateur » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 52
- « Le comptable public ne peut contrôler que la validité d'un paiement et non sa légalité » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 61