Explications du juge du fond et du droit sur les critères de sélection des candidatures
Le juge administratif poursuit, aussi bien au stade de la cassation qu’en appel, sur sa lancée de relative ouverture quant aux dispositions des articles 45 et suivants du Code des marchés publics.
Cet article encadre strictement les critères de sélection susceptibles d’être retenus par les pouvoirs adjudicateurs, comme les capacités techniques, financières ou matérielles des candidats : une liste exhaustive contenue dans l’arrêt du 28 août 2006 impose certains documents. Cette position du législateur et du juge permet de s’assurer à la fois que le pouvoir adjudicateur contrôle les candidats à son marché, et qu’il n’établit pas de barrières d’entrée trop importantes.
Le caractère « objectivement nécessaire », selon les termes de l’arrêt Bronzo (CE, 10 mai 2006, n° 281976), de ces critères de sélection est fondé par les principes de liberté d’accès et d’égalité des candidats devant la commande publique. Reste à définir ce qui est « objectivement nécessaire » !
Dans une décision du 22 avril 2013, une cour administrative d’appel a donné une application de ce principe au critère du chiffre d’affaires. La ville de Paris avait lancé une procédure d’appel d’offres pour la collecte et le traitement de déchets ménagers. Un candidat évincé a contesté ces décisions devant le juge du référé précontractuel en arguant que la ville, en exigeant un certain niveau de chiffre d’affaires dans le domaine du marché, ne respectait pas l’article 52 du Code des marchés publics. En effet, il est arrivé au juge d’accepter que des candidats ne présentant pas les qualités requises soient malgré tout acceptés au stade de la sélection des candidatures. Pour le juge du fond dans cette affaire, le pouvoir adjudicateur a eu raison d’écarter ce candidat car le critère choisi n’est pas disproportionné par rapport à l’objet du marché. Il apparaît que ce qui est « objectivement nécessaire » est donc ce qui est « proportionné ».
Ce raisonnement est conforme à celui tenu par le Conseil d’État dans un arrêt du 7 mai dernier (CE, Segex, n° 365706). Un service régional avait lancé une procédure d’attribution d’un marché à bons de commande pour la mise en place et le balisage des installations routières de son ressort territorial. Ce pouvoir adjudicateur exigeait des candidats qu’ils aient à leur disposition certains moyens techniques. Un candidat évincé a contesté la procédure de passation sur ce fondement, plaidant le non respect du principe issu de l’article 45 du Code des marchés publics. Le juge du fond lui donna raison en annulant la procédure de passation « au motif que le niveau de capacité technique ainsi exigé des candidats n'était manifestement pas lié et proportionné avec l'objet du marché ». Le Conseil d’État refuse cette interprétation et casse la décision des juges du fond. Il explique que si le juge du fond peut valablement annuler une procédure de passation « si l'exigence de capacité technique imposée aux candidats est manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ou manifestement disproportionnée », ce n’était pas le cas comme cela ressort de l’instruction du juge du fond ! Dans cette affaire, la cour administrative d’appel avait une bonne connaissance du droit, mais pas le bon raisonnement. En effet, le juge ne peut pas imposer des sujétions supplémentaires ou trop importantes au pouvoir adjudicateur, il doit se limiter au contrôle de la proportionnalité, et ce faisant, de l’objective nécessité d’édiction d’un critère.
Chacun à leurs niveaux, les juges administratifs du fond et du droit font coïncider leur raisonnement : les critères de sélection d’une candidature doivent être objectivement nécessaires, ce qui est apprécié par le juge sur le fondement du lien entre le critère et l’objet du marché ainsi que sur la proportionnalité d’un tel critère. En se limitant à la censure de critères « manifetement disproportionnés », le juge laisse une marge d'appréciation assez large aux pouvoirs adjudicateurs.
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