Marchés publics et propriété des infrastructures de télécommunication : attention aux dates !

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Le 20 octobre 2015, la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a rendu un arrêt portant sur la propriété d’infrastructures de télécommunication. L’affaire oppose la société Orange (qui s’est substituée aux droits de la société France Télécom au cours de la procédure) à la commune de Caen.

En l’espèce, par une délibération du 9 juillet 2001 de son conseil municipal, la commune de Caen a fixé le montant annuel de « la redevance à mettre à la charge des opérateurs de télécommunications, par voie de convention, en contrepartie de l’occupation d’infrastructures appartenant à la commune ». En ce sens, la commune a émis différents titres de recettes au titre des redevances d’occupation des infrastructures, situées dans différentes zones d’aménagement concerté (ZAC) de la commune, dues au cours des années 2001 à 2010. La société France Télécom, quant à elle, conteste ces titres car elle n’aurait pas accepté la signature d’une convention relative à l’occupation des infrastructures dont il s’agit. Celle-ci a donc demandé l’annulation de ces titres de recettes au tribunal de Caen qui a rejeté cette demande. Elle a donc interjeté appel et elle demande notamment l’annulation de ce jugement à la CAA de Nantes.

La société France Telecom se considère propriétaire des infrastructures en question et c’est pourquoi elle conteste les titres de recettes. La question se pose alors de savoir à qui revient la propriété de ces infrastructures de télécommunication (soit les chambres de tirage et fourreaux ici en cause).

Selon la CAA, la redevance, qui a été instituée par la délibération en question, a pour objet l’utilisation par des opérateurs de télécommunication des infrastructures de télécommunications dont la ville de Caen est propriétaire et qui sont affectées à l’usage du service public des télécommunications en vue duquel elles ont été spécialement aménagées. La société Orange ne pouvait donc pas opposer à cette délibération les dispositions en vertu desquelles « le prix facturé pour l’occupation  ou la vente de tout ou partie des fourreaux reflète les coûts de construction et d’entretien de ceux-ci » et donc refuser de verser la redevance pour l’occupation du domaine public visée par cette délibération. Il appartient, en conséquence, au conseil municipal d’établir les redevances en tenant compte des avantages procurés à l’occupant des infrastructures de télécommunication. Ces éléments ont bien été pris en compte pour le calcul des redevances, comme l’a justifié la collectivité. En ce sens, la CAA a rejeté la demande de la Société Orange d’annuler le jugement précédent et les titres de recettes émis. Elle reconnaît donc ainsi implicitement que ces infrastructures font partie du domaine public de la commune. Cette position de la CAA de Nantes semble s’inscrire dans la continuité de la jurisprudence traditionnelle.

L’élément principal de cet arrêt porte donc sur la question de la propriété de ces infrastructures dont la ville de Caen se dit propriétaire au titre de son domaine public, propriété contestée par la société France Télécom/Orange.

À ce titre, il faut noter, tout d’abord, que la loi du 26 juillet 1996 a transformé France Télécom en « une personne morale de droit privé dont le fonctionnement relève, sauf dispositions particulières contraires, du droit privé ». Il faut donc rappeler que les ouvrages immobiliers de France Télécom n’ont donc plus la qualité d’ouvrages publics à partir du 31 décembre. Mais cette conséquence de la loi est écartée en ce qui concerne les ouvrages de France Télécom incorporés à un ouvrage public, une voie publique par exemple, et qui en constituent une dépendance.

Ainsi, pour déterminer qui est propriétaire des ouvrages et infrastructures des réseaux de télécommunication, il faut opérer une distinction selon leur date de réalisation.

En effet, les infrastructures et équipements de télécommunication construits, avant 1991, lors d’opérations d’aménagement ou de lotissement, faisaient partie du domaine public de l’État.

Puis, à partir du 1er janvier 1991, la propriété des biens nécessaires aux services relevant de la direction générale des télécommunications est transférée à France Télécom qui était alors un établissement public détenant, à ce titre, un domaine public.

Le secteur des télécommunications s’est ensuite, notamment depuis 1996, progressivement ouvert à la concurrence. Le monopole de France Télécom a alors pris fin, cet opérateur n’étant plus le seul autorisé à exploiter des réseaux de télécommunication. France Télécom est ensuite devenue une société anonyme à qui l’ensemble des réseaux et des infrastructures de l’ex-établissement public ont été transférés de plein droit.

Avant cette libéralisation, les collectivités territoriales intervenaient sur les réseaux de télécommunication dans le cadre de l’aménagement de leur territoire (notamment par le biais de la création de lotissements ou de ZAC par exemple). Ainsi, elles ont construit un certain nombre d’infrastructures de communication sans disposer du droit de les exploiter.

Aujourd’hui, de manière traditionnelle, le juge administratif distingue le réseau et les infrastructures. Il considère que les collectivités qui ont financé la réalisation des infrastructures de télécommunication en sont les propriétaires. Ces infrastructures faisant partie du domaine public des télécommunications, le juge administratif considère qu’en l’absence de déclassement ou de désaffectation, ces infrastructures sont imprescriptibles et inaliénables et qu’un transfert de propriété n’a pas pu avoir lieu. En d'autres termes, le maître de l'ouvrage, dans le cas d'espèce, est bien la commune !

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