Masquez ce chantier que je ne saurais voir
La recherche de la meilleure méthode de notation des offres étant une quête sans cesse renouvelée, le pouvoir adjudicateur doit faire preuve d’ingéniosité afin de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, dans le respect des principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. C’est précisément ce que le Conseil d’État a entendu valider dans une décision du 16 novembre 2016 relative à l’utilisation d’un « Détail Quantitatif Estimatif », dit « chantier masqué ».
La ville de Marseille lance en février 2016 une procédure formalisée d’appel d’offres ouvert concernant l’attribution d’un marché de travaux comprenant quatre postes, respectivement d’exploitation, d’entretien, d’études et de maintien de ses installations d’éclairage public. Le règlement de consultation indique que le critère du prix est noté sur six prix répartis entre ces postes, tout en précisant qu’un « Détail Quantitatif Estimatif » (DQE), dit « chantier masqué », serait appliqué au bordereau des prix unitaires (BPU) fourni par les candidats pour deux postes.
De plus, le pouvoir adjudicateur ajoute un soupçon de hasard à sa méthode en décidant de tirer au sort un DQE « chantier masqué » parmi deux élaborés pour l’occasion en vue de l’appliquer aux BPU. Tant la méthode que l’aléa sont contestés par la société TEM, candidate évincée de la procédure.
La technique du DQE « chantier masqué » consiste pour le pouvoir adjudicateur en « une "simulation" consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d’interventions envisagées » et ne constitue pas un sous-critère, mais « une simple méthode de notation des offres destinée à les évaluer au regard du critère du prix » (CE, 2 août 2011, SIVOA, no 348711). Une telle qualification permet non seulement de valider son originalité car l’administration bénéficie d’une liberté dans la définition de la méthode de notation (CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, no 373362), mais aussi d’être avantageuse en ce qu’il n’existe pas d’obligation d’informer les candidats de son recours (CE, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, no 334279).
Annulant l’ordonnance du juge des référés, le Conseil d’État complète une décision de tribunal administratif (TA Marseille, 8 juin 2010, Société entreprise générale d’électricité, no 1003386) en énonçant que ni la méthode de notation dite du « chantier masqué », ni son caractère aléatoire ne sont contestables, si les trois conditions suivantes sont remplies :
- les simulations doivent correspondre à l’objet du marché ;
- le choix du contenu de la simulation ne peut avoir pour effet d’en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s’en trouverait dénaturé ;
- le montant des offres proposées par chaque candidat doit être reconstitué en recourant à la même simulation.
Il suit également les observations de son rapporteur Olivier Henrard pour qui le hasard « présente deux avantages. Le premier est qu’[il] limite les conséquences de la fuite d’informations. Le second est d’éviter que l’administration puisse se voir reprocher d’avoir favorisé un candidat ». Alea jacta est !
Sources :
- Conseil d’État, 16 novembre 2016, Société TEM, no 401660
- Conseil d’État, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, no 373362
- Conseil d’État, 2 août 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge Aval (SIVOA), no 348711
- TA Marseille, 8 juin 2010, Société entreprise générale d’électricité, no1003386
- Conseil d’État, 31 mars 2010, Collectivité territoriale de Corse, no 334279
Lire également sur Légibase Marchés publics :
- « La technique du "chantier masqué" : une simple méthode de notation » – La lettre Légibase Marchés publics, no 52