Même la lutte anti-mafia dans les marchés publics est soumise à la proportionnalité
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a répondu, le 22 octobre 2015, à une question préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 45 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.
En l’espèce, les sociétés Edilux et SICEF (chef de file mandataire et mandante d’une association temporaire d’entreprises) se sont vues attribuer un marché public de travaux portant sur la restauration de temples grecs en Sicile. La société qui a été classée deuxième lors de la procédure d’adjudication, la société Icogen Srl, a contesté cette décision. Le pouvoir adjudicateur a alors annulé cette décision et attribué définitivement ce marché à Icogen Srl. Il a fondé cette annulation sur le fait que les premières sociétés n’avaient pas déposé, avec leur offre, la déclaration d’acceptation des clauses figurant dans la convention de légalité. Or, il était prévu dans le cahier des charges que cette déclaration était un document essentiel et que sa non-production avait pour effet d’exclure la société en question. Le tribunal administratif régional pour la Sicile ayant rejeté le recours introduit par les deux premières sociétés contre la troisième, celles-ci ont interjeté appel devant le conseil de justice administrative pour la région de Sicile. Cette juridiction de renvoi a alors expliqué que les conventions de légalité ont été introduites dans l’ordre juridique italien afin de prévenir et de lutter en particulier contre les infiltrations de la criminalité organisée dans le secteur des marchés publics. Elle a précisé que ces conventions auraient également un rôle essentiel dans la protection des principes fondamentaux de concurrence et de transparence qui gouvernent la réglementation italienne et européenne en matière de marchés publics. Elle ajoute ensuite qu’une disposition législative nationale prévoit « que les pouvoirs adjudicateurs puissent exiger, sous peine d’exclusion, que l’acceptation de telles conventions, nécessaire pour que les clauses de ces conventions soient obligatoires, intervienne préalablement ». Cependant, cette même juridiction de renvoi émet des doutes sur la compatibilité d’une telle clause d’exclusion avec le droit de l’Union.
Ainsi, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Celles-ci visent l’interprétation de l’article 45 de la directive 2004/18. Même si le marché public en cause est d’une valeur inférieure au seuil d’application pertinent de cette directive, la Cour fournit tout de même des éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont la juridiction de renvoi a été saisie.
Selon la Cour, si les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour adopter les mesures nécessaires pour garantir le respect du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence qui s’imposent aux pouvoirs adjudicateurs dans toute procédure de passation d’un marché public, ils doivent respecter le principe général de droit de l’Union de proportionnalité qui impose qu’une « telle mesure ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé ».
Le juge applique ce principe en expliquant qu’une « disposition de droit national en vertu de laquelle un pouvoir adjudicateur peut prévoir qu’un candidat ou un soumissionnaire soit exclu automatiquement d’une procédure d’appel d’offres relative à un marché public pour ne pas avoir déposé, avec son offre, une acceptation écrite des engagements et des déclarations contenus dans une convention de légalité, telle que celle en cause au principal, dont l’objectif est de lutter contre les infiltrations de la criminalité organisée dans le secteur des marchés publics. » En revanche, une exclusion automatique des candidats ne déclarant pas ces informations n’est pas proportionnée au but recherché.
Source :