Non, un contrat entre personnes publiques n'échappe pas à une procédure de passation !
Il ne suffit pas pour un pouvoir adjudicateur de recourir à une personne publique pour écarter les règles des marchés publics. Souvent interrogée à cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne ne varie pas dans sa réponse.
Deux cas d’espèces différents ont fait l’objet de deux questions préjudicielles.
La première espèce a lieu en Allemagne : un arrondissement (Kreis) a confié à une commune de son périmètre la mission de nettoyage de ses locaux, sans passer de procédure de publicité et de mise en concurrence. Le précédent titulaire du marché a contesté la manière dont a été conclu ce contrat devant le juge national. Face à la complexité du cas, le juge d’Outre-Rhin a transmis à la cour la question suivante : « Le contrat passé entre deux collectivités territoriales par lequel l’une d’entre elles transfère à l’autre une compétence strictement limitée contre remboursement des frais, en particulier lorsque la tâche transférée ne porte pas sur une activité de puissance publique en tant que telle, mais concerne uniquement des activités accessoires, est-il un marché public ? »
La seconde espèce a pour circonstances la passation d’un marché de services concernant des activités de soutien relatives à l’élaboration de plans de reconstruction suite au séisme de l’Aquila de 2009 entre une commune touchée et une université, sans passer par une procédure permettant la mise en concurrence. Le Conseil national des ingénieurs, représentant l’ensemble des candidats potentiels lésés par cette attribution hors des procédures définies de marchés publics, conteste la validité du contrat devant le juge national. De nouveau, face à la complexité du cas, et en particulier du fait du caractère urgent de la reconstruction, le juge national demande au juge communautaire si les dérogations aux règles des marchés publics s’appliquent ici.
Le juge communautaire a de longue date reconnu des dérogations aux règles des marchés publics telles qu’imposées par les directives successives, dans le cas où des personnes publiques, ayant la qualité de pouvoirs adjudicateurs, coopèrent entre elles. Il peut s’agir d’une coopération dite « verticale » ou d’une coopération « horizontale ». La coopération verticale a été découverte à l’occasion de l’arrêt Teckal, et exempte le pouvoir adjudicateur de choisir le titulaire selon une procédure assurant la publicité et la mise en concurrence si deux critères sont remplis : le pouvoir adjudicateur assure sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services d’une part, et son cocontractant a une activité économique essentiellement dévolue aux besoins du pouvoir adjudicateur d’autre part. La coopération horizontale, découverte dans l’arrêt Commission c/ Allemagne de 2009, permet aux personnes publiques de se rendre des services sans mise en concurrence ni publicité à condition que les clauses financières et techniques du contrat qui les lie révèlent une véritable coopération, permise au titre de leur liberté d’organisation, en poursuivant un intérêt public et en ne plaçant pas des prestataires privés dans une situation privilégiée.
Dans les deux cas, la condition de contrôle analogue n’était évidemment pas remplie, excluant d’emblée le recours au régime de prestation intégrée (ou in house) issu de l’arrêt Teckal. Par contre, l’idée de coopération horizontale aurait pu être séduisante. Or, le juge communautaire a récemment placé une limite à cette théorie (CJCE, 19 décembre 2012, Azienda Sanitaria Locale di Lecce), en affirmant qu’un contrat passé entre une collectivité et une université, à part les cas de recherche scientifique, ne remplissait pas le critère de recherche d’un intérêt public. Répondant à la question du juge allemand, le juge communautaire a également refusé de retenir l’hypothèse d’une recherche d’intérêt public dans un contrat de nettoyage.
Notons que dans les deux cas, le juge communautaire place en incise le risque que des prestataires privés extérieurs soient employés pour remplir ces missions (soit des ingénieurs travaillant pour l’université, soit le titulaire d’un marché avec la commune), ce qui les placeraient dans une situation privilégiée.
Ces deux arrêts ne témoignent pas d’un abandon des dérogations aux procédures de passation sur le fondement de la coopération… mais signalent que le juge communautaire ne tolèrera pas que ces exceptions deviennent la règle de principe pour les marchés entre personnes publiques.
Sources :
- CJUE, 20 juin 2013, Consiglio Nazionale degli Ingegneri, aff. C‑352/12
- CJUE, 13 juin 2013, Piepenbrock Dienstleistungen GmbH & Co. KG, aff. C‑386/11
- CJUE, 19 décembre 2012, Azienda Sanitaria Locale di Lecce, aff. C 159/11
- CJCE, 9 juin 2009, Commission c/ Allemagne, aff. C-480/06
- CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl, aff. C-107/98