Offre anormalement basse : ne pas respecter la procédure n'ouvre pas toujours droit à indemnisation
Dans un arrêt du 15 octobre 2014, le Conseil d’État annule la décision de la cour administrative d’appel de Nancy qui condamnait le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des eaux usées (SICTEU) de la région de Soultz-sous-Forêts à verser 10 000 euros à un concurrent évincé au titre de la perte de chance de celui-ci. Elle est aussi l’occasion pour le Conseil d’État de préciser la manière de traiter les concurrents évincés et leurs demandes indemnitaires en cas de manquement au principe d’égalité de traitement.
Par un appel public à la concurrence du 19 janvier 2007, le SICTEU de la région de Soultz-sous-Forêts a ouvert une procédure négociée de passation d'un marché de travaux « Assainissement général – plan pluriannuel – programme 2007 » pour un montant de 251 000 euros, à laquelle les sociétés Phoenix et TST-Robotics ont répondu. Phoenix, l’ancien attributaire du marché, propose une offre à 251 137 euros contre 188 400 euros pour TST-Robotics.
Suspectant une offre anormalement basse, le pouvoir adjudicateur demande alors à TST-Robotics une justification au titre de l’article 55 du Code des marchés publics.
Les négociations s’ouvrent et Phoenix propose un prix de près de 30 % inférieur à son offre initiale, soit 175 796 euros. TST-Robotics baisse également, mais plus modestement, son prix pour atteindre 184 623 euros. Le pouvoir adjudicateur retient en définitive l’offre de Phoenix. TST-Robotics, s’estimant lésée du fait qu'une offre inférieure à son offre intiale ait été retenue sans demande de jutification au titre de l'article 55 du code alors qu'elle s'était elle-même acquittée de cette obligation, entame une procédure contre le SICTEU. Elle invoque une rupture d’égalité de traitement des candidats ainsi qu'une perte de chance d’obtenir le marché, pour un préjudice qu'elle évalue à 62 941 euros.
Dans un premier temps, le tribunal administratif de Strasbourg ne fait pas droit à sa demande, au contraire de la cour administrative d’appel de Nancy qui lui octroie 10 000 euros plus intérêts capitalisés. Le SICTEU se pourvoit alors en cassation.
L’intérêt de la décision du Conseil d'État réside dans la lecture croisée qu’il fait de l’article 55 du Code des marchés publics et de l’invocation de la perte de chance. En effet, les juges du Palais-Royal vont retenir qu’il y a bien eu une irrégularité au titre de cet article.
Lorsque le pouvoir adjudicateur suspecte une offre anormalement basse et demande à l'un des soumissionnaires des justifications, il lui est impossible de s'affranchir de cette démarche envers les autres candidats. Dès lors, commet une irrégularité sur le fondement de l'article 55 du Code des marchés publics le pouvoir adjudicateur qui n'a pas demandé des précisions sur une offre d'un montant inférieur à celle suspectée, comme cela était le cas en l'espèce.
Toutefois, cette irrégularité n’est pas de nature à justifier une perte de chance sérieuse. Si le juge ne l'explicite pas, rappelons que la procédure d'offre anormalement basse ne prend en compte le prix proposé que comme un indice. Ce qui fonde le rejet d'une offre selon l'article 55 du code est l'incapacité du candidat à remplir le marché.
Ne pas respecter la procédure de l'offre anormalement basse est bien une entorse au principe fondamental d'égalité entre les candidats. En revanche, pour savoir si cette inégalité a bien conduit à la perte de chance d'obtenir le marché, le juge du fond, auquel a été renvoyée l'affaire, devra se pencher sur la capacité du candidat évincé et celle du candidat retenu à remplir le marché.
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