Quand la rupture unilatérale présente-t-elle un caractère abusif ouvrant droit à indemnisation ?
Le cocontractant de l’administration peut, en principe, obtenir l’indemnisation de ses préjudices en cas de rupture unilatérale du contrat. La cour administrative d’appel de Paris a montré dans un arrêt du 31 juillet 2015 que pareille indemnisation n’est cependant pas obligatoire dès lors que le contrat en cause ne prévoit ni durée, ni montant des prestations, ni même les conditions dans lesquelles il peut y être mis fin.
En 2008, le ministère de la Justice avait choisi de se doter d’une plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), cela afin de remplacer le système existant qui reposait sur des plateformes régionales dont le champ d’action était limité à l’interception des communications téléphoniques. À cette fin, et compte tenu de la nature du projet, le ministère avait alors passé, en 2010, un marché sur le fondement de l’alinéa 7 de l’article 3 du Code des marchés publics qui permet d’exclure du champ d’application de ce code les marchés dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État l’exige. Trois années après que ce marché a été attribué à la société Thalès, plusieurs sociétés, qui réalisaient des interceptions judiciaires sur la base des plateformes régionales, ont cependant adressé au ministère de la Justice une demande indemnitaire préalable en réparation des préjudices que leur avait causé la rupture unilatérale des relations contractuelles établies avec ce dernier. Ayant essuyé un refus de la part du ministère, elles ont alors saisi le tribunal administratif de Paris afin qu'il fasse droit à leurs demandes indemnitaires sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’administration. Telle ne fût cependant pas la décision du juge administratif de premier degré qui rejeta leurs demandes. Les sociétés requérantes interjetèrent alors appel.
La cour administrative d’appel de Paris rejeta toutefois à nouveau les demandes des sociétés requérantes, celle-ci estimant que le ministère de la Justice était en droit de renoncer à passer des ordres de services auprès de ces sociétés sans qu’une telle renonciation ne présente, par elle-même, un caractère abusif ouvrant nécessairement droit à indemnisation au profit de ses cocontractants. S’il est admis que le cocontractant de l’administration est en droit d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices résultant de la résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat et Crédit foncier de France, no 41589), il en va toutefois autrement lorsque le contrat en cause ne prévoit ni montant, ni durée du contrat, ni même les conditions dans lesquelles il peut y être mis fin (CAA Marseille, 10 janvier 2005, M. Balesi, no 01MA01648). Or, telle était le cas en l’espèce puisque les contrats litigieux dont se prévalaient les sociétés requérantes ne prévoyaient « ni la réalisation d’un montant de prestations précis, ni une quelconque durée d’engagement, ni les conditions dans lesquelles il pourrait y être mis fin ».
Il convient cependant d’observer que le juge administratif d’appel va plus loin en soulignant, d’une part, que les sociétés requérantes avaient eu connaissance, dès 2008, de la volonté du ministère de se doter d’une nouvelle plateforme d’interceptions judiciaires, et, d’autre part, que ces sociétés continueraient à bénéficier de commandes au moins jusqu’à la fin de l’année 2015. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne pouvaient donc pas a fortiori se prévaloir du caractère abusif de la rupture de leurs relations contractuelles avec le ministère de la Justice.
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