Un texte réglementaire ou législatif peut-il conduire à un marché public ?
La question de la définition d’un marché public prend parfois des voies détournées pour trouver une réponse, comme le montrent deux arrêts récents, l’un, du 8 mai 2013 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne portant ouvertement sur la question et l’autre, rendu par le Conseil d’État le 12 juillet dernier, qui témoigne d’une interrogation similaire en droit interne.
La Cour de justice de l’Union européenne avait été saisie par la Cour constitutionnelle du Royaume de Belgique à propos d’un texte de la province flamande. Celui-ci prévoyait des mécanismes restreignant les possibilités d’accès ou de retour au marché immobilier dans certaines villes-cibles, car il interdisait d’acquérir ou de louer un bien immobilier pendant plus de neuf ans à toute personne n’ayant pas un « lien suffisant » avec la commune en question, ainsi que l’obligation pour les promoteurs de projets immobiliers d’une certaine taille de construire des logements sociaux ou de compenser l’absence de ces constructions par un versement forfaitaire. Le cœur de la question posée aux juges de la Cour de Luxembourg portait sur la liberté d’installation, corollaire de la libre circulation des personnes et des capitaux, et n’intéressait que peu la question des marchés publics. Par contre, en imposant que les promoteurs construisent des logements sociaux, lesquels seront cédés à des prix plafonnés à des organismes de logements sociaux, le texte en question ne contourne-t-il pas les règles de passation des marchés publics ?
Cette question de droit flamand appréciée par le filtre du droit communautaire se retrouve en droit français. Le 12 juillet 2012, le Conseil d’État a rendu une décision en cassation à propos de l’application de l’article L. 332-9 du Code de l'urbanisme. Cet article met en effet à la charge des lotisseurs « tout ou partie du coût des équipements publics réalisés dans l'intérêt principal des usagers des constructions à édifier dans le secteur concerné ». Cet article a été abrogé à compter du 1er mars 2012 par la loi du 29 décembre 2010, mais il peut toujours être utilisé dans les communes ayant institué un programme d’aménagement d’ensemble avant le 29 décembre 2010 et qui ne l’ont pas fait disparaitre. Or, l’article L. 332-10 du Code de l’urbanisme prévoit que « la participation prévue à l'article précédent est exigée sous forme de contribution financière ou, en accord avec le demandeur de l'autorisation, sous forme d'exécution de travaux ou d'apports de terrains ». De nouveau, la question du contournement des principes fondamentaux de la commande publique se pose.
Le juge communautaire suit une réflexion simple … qui lui permet de renvoyer l’appréciation de la question aux juges du fond. Reste qu’il dirige la solution à choisir.
En premier lieu, la Cour de justice s’attache à la définition d’un marché public selon l’article 1er de la directive 2004/18/CE et distingue quatre critères qui permettent de le qualifier ainsi. Sont nécessaires deux conditions formelles : un contrat écrit, conclu entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique. Deux conditions de fond sont également obligatoires : il s’agit d’un contrat synallagmatique dont les obligations réciproques sont un prix (il s’agit d’un contrat onéreux) et une obligation en nature, soit des travaux, soit la livraison de fournitures soit une prestation de services.
Dans les cas d’espèce, le juge communautaire reconnaît qu’il s’agit bien de prestations onéreuses ayant pour objet des travaux ou des fournitures, entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique. Le nœud du problème est l’absence de contrat écrit. En effet, l’obligation pour l’opérateur économique de réaliser certaines prestations découle de textes législatifs ou réglementaires, mais peut aussi être trouvée dans une convention de lotissement (CJCE, 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., aff. C-399/98).
Pour le juge communautaire, les juges nationaux devront apprécier, selon leurs propres règles, si des conventions existent, et qui fonderaient la qualification comme marché public de telles situations. À titre d’indication, il relève que la convention d’administration passée entre le maître de l’ouvrage et la société de logement social n’est pas un contrat écrit de marché public. Pour être un marché public, il faut que le contrat ait pour objet la réalisation d’une prestation (ici des travaux), et non uniquement leur mise sur le marché comme cela est le cas en l’espèce.
Alors que la qualification de marché public de cas similaires peut porter à contestation, comme le signale l’avocat général Jan Mazak dans ses conclusions en doutant de l’avantage accordé par le pouvoir adjudicateur au titulaire, la Cour de justice alerte les personnes publiques qui pourraient devenir autorités adjudicatrices malgré elles.
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