La garantie des vices cachés dans les marchés publics
Nous allons tout d’abord étudier comment cette notion civiliste de la garantie pour vice caché est désormais applicable en marché public (I), puis nous étudierons quelles sont les conditions de sa mise en œuvre (II) et enfin pourquoi la garantie pour vice caché est un dispositif supplétif à la garantie technique prévue par les différents cahiers des clauses administratives générales (III).
I. Une notion purement civiliste applicable en droit des marchés publics
C’est par la décision Centre hospitalier de la région d’Annecy que le Conseil d’État consacre clairement l’application directe de la garantie des vices cachés en matière de marchés publics, « considérant [...] qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil : "Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine [...]" ; que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en faisant application des dispositions précitées sans les adapter au droit des marchés publics ».
II. La mise en œuvre de la garantie des vices cachés
Envers un consommateur ou un acheteur profane, la garantie pour vice caché joue pleinement, mais pas pour l’acheteur professionnel qui aurait dû voir le vice affectant la chose, celui-ci devenant alors un vice apparent, hypothéquant la réception par l’acheteur. Non seulement il existe une présomption simple de découverte du vice par l’acheteur professionnel, mais de plus, il peut se voir opposer des clauses limitatives de garantie, contrairement à l’acheteur non professionnel.
L’acheteur public est-il un acheteur professionnel au regard des vices cachés ? La jurisprudence civile considère qu’un acheteur professionnel est assimilé à un profane, si sa spécialité, c'est-à-dire ses compétences techniques, ne correspondent pas au domaine d’achat en cause. Dans la plupart des cas, l’acheteur public sera considéré comme un acheteur non professionnel, n’étant pas spécialisé dans le domaine d’achat. Ainsi, le Conseil d’État dans sa décision Ajaccio Diesel du 7 avril 2011, à l’occasion d’un litige portant sur des véhicules, reconnaît que le centre hospitalier de Castelluccio agit en tant qu’acheteur profane. Dans un tel cas, seule une expertise mandatée par les assureurs permet de découvrir les vices cachés.
Mais cette qualité d’acheteur profane peut disparaître si la personne publique s’appuie sur l’expertise d’un tiers lors de l’acquisition des biens. C’est ce qui est arrivé à la communauté d’agglomération Sophia Antipolis qui, préalablement à l’acquisition de véhicules, avait fait procéder à un audit des véhicules par une association de professionnels du transport public (AGIR) ; la cour administrative d’appel de Marseille a assimilé dans ce cas la personne publique à un acheteur professionnel de même spécialité.
Autre point important pour la mise en œuvre de la garantie pour vices cachés : le délai d’action. Pendant deux siècles, l’article 1648 du Code civil a imposé à l’acquéreur d’agir dans un « bref délai ». Cette condition était inspirée par l’idée que plus le temps passe, plus il sera difficile de déterminer si le vice était ou non antérieur à la vente. En effet, historiquement, au temps des Romains, la maladie affectant la vente d’esclaves ou d’animaux ne pouvait être imputée au vendeur que si elle se déclarait dans un bref délai. Aujourd’hui, depuis l’ordonnance du 17 février 2015, le délai est dorénavant de deux ans à compter non de la vente mais de la découverte du vice.
III. Une garantie supplétive à la garantie technique annuelle prévue aux CCAG
La garantie technique, prévue par le CCAG-FCS comme par le CCAG-TIC (art 30) ou le CCAG-PI (art 28) en cas de défectuosité, est d’application plus large que la garantie pour vices cachés. En effet, cette dernière ne peut être mise en jeu que dans la mesure où les vices cachés rendent les choses impropres à leur destination, alors que la seule défectuosité doit être prise en charge dans le cadre de la garantie technique.
De plus, la mise en œuvre de la garantie technique est plus opportune en terme de continuité du service public. En effet, alors que la garantie pour vices cachés a pour conséquence, soit une réfaction sur le prix (action estimatoire), soit une résolution de la vente (action rédhibitoire) entraînant une restitution de la fourniture au vendeur et la restitution du prix à l’acheteur, la garantie technique prévue aux CCAG oblige le titulaire à remettre en état et « lorsque, pendant la remise en état, la privation de jouissance entraîne pour le pouvoir adjudicateur un préjudice, celui-ci peut exiger un matériel de remplacement équivalent. » (CCAG-FCS, art. 28.2).
Enfin, comme toute clause des CCAG, la garantie technique peut être aménagée par le pouvoir adjudicateur, et, par exemple, être portée à deux ans par le cahier des clauses administratives particulières.
Sources :
- C. civ., art. 1641 et 1648
- CAA, 10 juin 2015, Communauté d’agglomération Sophia Antipolis (CASA), no 13MA03349
- CE, 7 avril 2011, Société Ajaccio Diesel, no 344226
- CE, 24 nov. 2008, Centre hospitalier de la région d'Annecy, no 291539
- CAA, 30 mai 2005, Société Applicam, no 03NC00092
- CE, 29 janvier 1993, Syndicat intercommunal des eaux de La Dhuy, no 122491
- CE, 9 juillet 1965, Société les pêcheries du Keroman, no 59035