Délai de suspension : l'article 80-II du Code jugé contraire au droit européen
Pouvoirs adjudicateurs : il est préférable de respecter en toutes circonstances le délai de suspension avant de signer un marché. Les exceptions prévues à l'article 80-II du Code des marchés publics (CMP) viennent d'être jugées contraires au droit communautaire, dans un arrêt du Conseil d'État en date du 1er juin.
L'article 80 prévoit qu'un délai d'au moins 16 jours doit être respecté entre la date d'envoi de la notification aux candidats dont l'offre est rejetée et la date de conclusion du marché. En cas de transmission électronique de la notification, le délai est réduit à 11 jours. Il s'agit de permettre aux candidats évincés d'introduire, si besoin, un référé précontractuel. Or, l'article 80 prévoit également que le respect de ces délais n'est pas obligatoire « lorsque le marché est attribué au seul candidat ayant présenté une offre répondant aux exigences indiquées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de consultation ».
C'est sur cette disposition que s'est appuyé l'Office public de l'habitat (OPH) d'Amiens, pour conclure un marché de prestations de dépannage et d'entretien d'ascenseurs à la société Otis, après seulement 7 jours de délai de suspension. L'autre candidat, la société Kone, n'avait proposé d'offres que pour les lots 2 et 3 du marché. Or, le règlement de consultation indiquait que les candidats devaient obligatoirement répondre aux trois lots. Pour l'OPH d'Amiens, seule l'entreprise Otis avait satisfait aux exigences du marché. Dès lors, le délai de 16 jours n'avait pas nécessairement à être respecté. La société Kone s'est alors tournée vers le juge administratif.
Si l'usage du délai de suspension est défini par l'article 80 du CMP, il est strictement encadré par la « directive recours », rappelle le Conseil d'État, dans sa décision. Transposée en droit interne en mai 2009, la directive « énumère limitativement les cas dans lesquels les États membres peuvent prévoir que [ce délai] ne s'applique pas », souligne le Conseil d'État. Ainsi, le délai peut ne pas être mis en oeuvre « si le seul soumissionnaire concerné [...] est celui auquel le marché est attribué en l'absence de candidats concernés », comme l'indique l'article 2 bis de la directive recours.
Pour le Conseil d'État, cela signifie que la directive ne permet pas aux pouvoirs adjudicateurs « de s'affranchir du respect de ce délai de suspension dans d'autres cas, notamment dans celui où le contrat a été attribué au seul candidat s'étant conformé aux documents de la consultation ». La conclusion est claire : les dispositions de l'article 80-II du CMP sont jugées « incompatibles » avec la directive recours. Le marché passé avec la société Otis est donc annulé et l'OPH d'Amiens est condamné à verser 4 500 € à la société Kone.
Mais le Conseil d'État ne s'arrête pas là ! Il relève une autre irrégularité dans la procédure lancée par l'OPH d'Amiens. En obligeant les candidats à répondre aux trois lots de la consultation, sous peine de voir leur offre rejetée, l'OPH a « méconnu les dispositions de l'article 10 du Code des marchés publics » relatives à l'allotissement.
En effet, l'allotissement doit susciter une concurrence plus large en permettant à des petites entreprises de présenter des offres pour un ou plusieurs lots d'un marché. Quel est alors l'intérêt d'allotir, si le règlement du marché impose à tous les candidats de proposer des offres pour chacun des lots ? En l'espèce, « l'Office a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence d'une manière ayant affecté les chances de la société Kone d'obtenir les marchés correspondant aux lots 2 et 3 », conclut le Conseil d'État.
Si l'OPH d'Amiens s'est montré imprudent dans la rédaction de son règlement de consultation, il n'aurait sans doute pas été le seul à se laisser piéger par les dispositions de l'article 80. Pour éviter tout risque contentieux, il semble préférable de laisser courir le délai de suspension, quelle que soit la situation. Car pour quelques jours de gagnés, c'est l'ensemble de la procédure qui prend le risque d'être annulée.
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