« Les petites collectivités ne sont pas prêtes à exercer les missions d'ingénierie publique »
Le 1er janvier 2012, les directions départementales de l'équipement (DDE) cesseront d'exercer leurs missions d'aide aux collectivités dans le domaine de l'ingénierie publique. Quelles seront les conséquences pour les collectivités territoriales ? Qui reprendra les missions d'ingénierie publique ? Explications et analyse de Vincent Aubelle, professeur associé de l'Université de Cergy-Pontoise, spécialiste de l'intercommunalité.
Quelle est la conséquence du retrait de l'État des missions d'ingénierie publique ?
Les collectivités, quelle que soit leur taille, vont devoir réussir à mettre en place des services de maîtrise d'œuvre capables de suivre leurs activités. Cela va se traduire par un surcoût pour ces collectivités. Le problème, c'est que ces surcoûts ne peuvent être absorbés que par des collectivités de taille suffisamment importante. Il va donc falloir mutualiser les moyens à un moment où à un autre.
La mutualisation des moyens est-elle la seule solution ?
Il y a deux possibilités pour les collectivités : soit on renvoie la maîtrise d'œuvre au secteur privé, soit on crée un service de maîtrise d'œuvre en interne. Mais ces solutions doivent, selon moi, être mises en place au niveau d'une grande intercommunalité. Car pour faire venir un maître d'œuvre avec une équipe, il faut un territoire suffisamment grand.
Se dirige-t-on alors vers des marchés plus globalisés ?
Si on fait appel au secteur privé, on pourra en effet avoir recours à des marchés plus importants avec des groupements d'achats. Les collectivités ont tendance aujourd'hui à se lancer dans les groupements d'achats. Mais les élus doivent opérer un travail en amont pour préserver les PME au niveau local. Sinon, on se dirige de plus en plus vers des rencontres entre grands acheteurs et grandes sociétés.
Mutualiser ou recourir au secteur privé : quelle est la solution la plus intéressante pour les collectivités ?
Je crois à un mélange des solutions. Il faut que les collectivités se dotent d'une ingénierie en interne en mutualisant des moyens mais cela n'exclut pas le travail avec le secteur privé. Car un service de maîtrise d'œuvre n'est pas forcément compétent sur tous les sujets.
Ce désengagement de l'État inquiète-t-il les collectivités ?
Cela s'inscrit dans un vaste mouvement, qui inclut aussi ce qui s'est produit dans le domaine de l'instruction du droit des sols. Les élus locaux prennent conscience qu'ils vont devoir assumer un certain nombre de missions auparavant prises en charge par l'État. Ils se demandent comment ils vont pouvoir gérer leurs budgets. Les petites collectivités ne sont pas prêtes pour l'échéance de 2012. Tant que la DDE est là, elles se reposent sur elle.
Que risque-t-il de se passer en 2012 ? Seules les grandes collectivités seront prêtes ?
Aujourd'hui les petites collectivités ont ce raisonnement : tant que l'État prend en charge l'ingénierie publique pour un coût modeste, on ne s'en préoccupe pas encore. C'est quelque chose de très présent dans les petites collectivités. Les plus grandes possèdent déjà des services, pas toujours adaptés mais au moins habitués à travailler régulièrement avec des maîtres d'œuvre privés.
Au-delà de ce constat, il reste deux solutions pour les petites collectivités : soit obtenir des aides de l'État, mais avec quels moyens ? Soit mettre en place des services en interne.
La réforme territoriale peut-elle apporter des réponses, notamment par la mutualisation ?
Oui, à condition d'aborder la mutualisation différemment. L'État stigmatise l'augmentation des frais de personnel dans les collectivités, mais il faut montrer que cette augmentation est due à l'exécution de prestations de base, dont l'ingénierie publique. Il faut aller vers une mutualisation qualitative : là se trouve le véritable enjeu.