Le forfait de maîtrise d’œuvre
Un marché de maîtrise d’œuvre doit respecter, outre les dispositions du Code des marchés publics, les prescriptions de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985, dite loi MOP, et de son décret d’application du 29 novembre 1993. Cette législation spécifique à la maîtrise d’œuvre s’explique par les enjeux liés à la conception d’un ouvrage. En effet, celle-ci a un impact définitif tant au niveau des coûts de réalisation, que de l’exploitation et de l’entretien d’un bâtiment. Aussi convient-il que la conception ne soit pas sacrifiée par la recherche du prix le plus bas pour les prestations de maîtrise d’œuvre. Pour ce faire, la loi MOP exige que la maîtrise d’œuvre soit réglée au moyen d’un forfait en rapport avec l’ouvrage à construire (I), notamment en fonction de son coût prévisionnel qui, lui, ne peut être définitivement fixé qu’à l’issue des études, objet de la prestation elle-même (II).
I. Un forfait en rapport avec l’ouvrage à construire
Selon l’article 9 de la loi MOP, « la mission de maîtrise d’œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement », cette rémunération tenant compte « de l’étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux ». L’article 29 du décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 précise que l’étendue de la mission est « appréciée notamment au regard du nombre et du volume des prestations demandées, de l'ampleur des moyens à mettre en œuvre, du mode de dévolution des travaux, des délais impartis et, le cas échéant, du ou des engagements souscrits par le maître d'œuvre de respecter le coût prévisionnel des travaux ». Le degré de complexité de la mission est quant à lui apprécié « notamment au regard du type et de la technicité de l'ouvrage, de son insertion dans l'environnement, des exigences et contraintes du programme ». Si l’étendue de la mission et son degré de complexité sont déterminables avant même le lancement de la consultation de maîtrise d’œuvre, le coût prévisionnel des travaux ne peut en général être fixé en amont, puisqu’il résulte justement des études réalisées par le maître d’œuvre. C’est pourquoi, la plupart du temps, le forfait de maîtrise d’œuvre est un forfait provisoire. Le Code des marchés publics consacre d’ailleurs cet état de fait puisqu’il prévoit en son article 19-III qu’il est possible de conclure des marchés à prix provisoires : « Pour la réalisation des ouvrages mentionnés à l'article 1er de la loi du 12 juillet 1985 […], les marchés de maîtrise d'œuvre sont passés à prix provisoires conformément au décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ». De même, l’article 29 du décret du 29 novembre 1993 dispose que : « Dans le cas où le coût prévisionnel des travaux n'est pas encore connu au moment de la passation du contrat avec le maître d'œuvre, le montant provisoire de la rémunération de ce dernier est basé sur la partie affectée aux travaux de l'enveloppe financière prévisionnelle fixée par le maître de l'ouvrage ».
II. Un forfait fixé en deux temps
Dans un premier temps, le maître d’œuvre propose un taux de rémunération sur la base de l’enveloppe financière affectée aux travaux par le maître d’ouvrage. Ce taux de rémunération appliqué à l’enveloppe financière constituera le forfait provisoire. Le forfait reste provisoire pendant les études de conception, c’est-à-dire tant que le projet n’est pas achevé et que le coût prévisionnel ne peut être définitivement fixé. Le contrat de maîtrise d’œuvre prévoit à quel moment des études de conception le coût prévisionnel est définitivement arrêté. En tout état de cause, il devra l’être impérativement à la fin de la réalisation de l’élément de mission projet PRO (les éléments de missions constituent les différentes phases des prestations de maîtrise d’œuvre telles que définis par la loi MOP). En effet, l’article 30 du décret du 29 novembre 1993 prévoit que : « Lorsque la mission confiée au maître d'œuvre comporte l'assistance au maître de l'ouvrage pour la passation du ou des contrats de travaux, le contrat prévoit l'engagement du maître d'œuvre de respecter le coût prévisionnel des travaux arrêté au plus tard avant le lancement de la procédure de passation du ou des contrats de travaux ». Ainsi, dans un second temps, le forfait définitif résulte de l’application de ce même taux de rémunération (sauf clauses incitatives) au coût prévisionnel définitif des travaux. Il est donc fixé lorsque le coût prévisionnel provisoire des travaux devient définitif par le biais d’un ordre de service ou d’un avenant (sachant que dans cette hypothèse, l’avenant n’est pas soumis aux conditions posées par l’article 20 du Code des marchés publics). Ce mécanisme d’un forfait indexé sur le coût estimé des travaux invite très logiquement le maître d’œuvre à faire déraper le coût prévisionnel des travaux. Pour éviter ce phénomène, des clauses incitatives peuvent être mises en place. Elles peuvent par exemple prévoir une diminution du taux de rémunération corrélative à l’augmentation du coût prévisionnel, afin de limiter l’augmentation du forfait et, ainsi, l’intérêt du maître d’œuvre à faire augmenter le coût des travaux. Une fois le forfait définitif fixé, il ne saurait être modifié en cours de mission sauf conformément au droit commun, c’est-à-dire soit en raison d’une modification du programme, soit pour cause de sujétions techniques imprévues. Le marché de maîtrise d’œuvre étant un marché réglé au forfait sur la base du coût ex ante des travaux, cela exclut que la prolongation de la mission d’un maître d’œuvre soit, par principe, de nature à justifier une rémunération supplémentaire. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État dans son arrêt « Société Babel » en date du 29 septembre 2010. Sources :
- Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée
- Décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d’œuvre confiées par des maîtres d’ouvrage publics à des prestataires de droit privé
- CE, 29 septembre 2010, Société Babel, n° 319481