La maîtrise d’ouvrage publique et la révolution numérique du BIM
La nouvelle directive européenne sur la passation des marchés publics (2014/24), votée par le parlement européen en 2014, encourage les États membres à recourir aux outils numériques, comme le BIM, dans la commande publique. Vous n’avez pas entendu parler du BIM ? Un acronyme anglo-saxon de plus, me direz-vous ! Et pourtant, tous les maîtres d’ouvrages publics ne pourront bientôt plus ignorer la révolution numérique qui, après le monde de l’automobile et celui de l’aéronautique, est désormais à l’œuvre dans le monde de la construction.
La France, si elle n’oblige pas encore les maîtres d’ouvrages publics à prévoir un BIM dans leur consultation portant sur les marchés de maîtrise d’œuvre ou de travaux, a créé néanmoins en décembre 2014 un plan de transition numérique dans le bâtiment, structure ayant pour objectif le développement du numérique dans le bâtiment, en faisant en particulier la promotion du BIM. Un site internet est d’ailleurs logiquement consacré à cette tâche : http://www.batiment-numerique.fr/
Nous allons dans un premier temps poser les définitions nécessaires à la compréhension du BIM, qui va au delà de la simple demande de maquette numérique, puis nous aborderons le BIM au regard de la loi MOP relative à la maîtrise d’ouvrage publique et enfin ce qu’implique pour l’acheteur la mise en œuvre d’une démarche BIM dans ses consultations.
I. BIM, BIM, ou BIM
La directive européenne 2014/24 prévoit l’utilisation de la maquette numérique, comme le montre son article 22.4 : « Pour les marchés publics de travaux et les concours, les États membres peuvent exiger l’utilisation d’outils électroniques particuliers tels que des outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou des outils similaires. Dans ces cas, les pouvoirs adjudicateurs offrent d’autres moyens d’accès, selon les dispositions du paragraphe 5, jusqu’à ce que ces outils soient devenus communément disponibles au sens de paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase. »La France s’est contentée d’une transposition a minima et n’exige pas la fourniture d’une maquette numérique dans les consultations touchant à la construction, mais elle le permet, comme cela ressort de l’article 42 sur les dispositifs de communication électronique. Ainsi, l’article 42, alinéa 3, prévoit : « L’acheteur peut, si nécessaire, exiger l’utilisation d’outils et de dispositifs qui ne sont pas communément disponibles, tels que des outils de modélisation électronique des données du bâtiment ou des outils similaires. Dans ce cas, l’acheteur offre d'autres moyens d’accès au sens du IV, jusqu’à ce que ces outils et dispositifs soient devenus communément disponibles aux opérateurs économiques. »La mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) a publié un guide dédié à l’intention de la maîtrise d’ouvrage public en date de juillet 2016. Dans celui-ci, il explique en détail en quoi consiste le BIM et comment le mettre en œuvre dans les consultations, tant dans celle de maîtrise d’œuvre que dans celles de travaux, de contrôle technique et de coordination sécurité et protection de la santé.L’acronyme BIM a plusieurs significations. Building Information Model correspond au modèle de données décrivant un projet, ce qui correspond en fait en bon français à une maquette numérique ; Building Information Modelling décrit le processus de création, de collecte et d’utilisation de ces données ; enfin Building Information Management met l’accent sur l’organisation de projet nécessaire à la mise en œuvre du processus.La MIQCP recommande d’employer le terme de maquette numérique et de conserver l’appellation BIM pour définir le processus de travail collaboratif sur une maquette numérique. En effet, le principal intérêt d’une maquette numérique réside dans la collaboration qu’elle permet entre tous les intervenants d'un projet de bâtiment, de la conception à l'exploitation : architecte, maître d'ouvrage, ingénieur, bureau d'étude, thermicien, économiste de la construction...Elle anticipe virtuellement le bâtiment et la gestion de la totalité de son cycle de vie. Elle contient une base de données et une représentation graphique en 3D de l’ouvrage.
II. La loi MOP et le BIM
La loi MOP, c'est-à-dire la loi no 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, qui réglemente précisément le contenu de la mission de maîtrise d’œuvre, ne semble pas incompatible avec des rendus de prestations sous forme informatique. En effet, ni la loi, ni son décret d’application n’impose un format ou support particulier à utiliser. Or, le BIM est un outil susceptible d’intervenir tout au long des phases du projet de construction d’un bâtiment, et peut s’inscrire dans le séquençage par éléments de missions prévu par la loi.La maquette numérique peut être utilisée tant en phase conception qu'en phase de réalisation et de réception. On parlera alors de maquette numérique de construction. La consultation peut ainsi prévoir la mise en place d’une maquette numérique de conception qui se précisera au fur et à mesure de l’avancement des études de conception (APS, APD, PROJET). Les rendus peuvent éventuellement rester sous forme papier mais sont alors issus de l'avancement de la maquette numérique. À chacune des phases principales de la mission de maîtrise d’œuvre, les documents graphiques permettant la consultation des entreprises de travaux (maquette numérique de conception), ou les plans d’exécution en démarrage de chantier (maquette numérique de réalisation), seront issus de la maquette numérique et à la fin de la réalisation de l’ouvrage, la maquette numérique, elle-même devient la maquette numérique de réception ou DOE, c’est-à-dire le dossier des ouvrages exécutés (DOE) prévu par la loi MOP.Selon la mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, la maquette numérique de construction répond aux exigences des missions de maîtrise d’œuvre définies par la loi MOP et ses textes d’application. Élaborée sous la responsabilité de la maîtrise d’œuvre, elle est une compilation des maquettes numériques métiers de tous les intervenants constituant une représentation numérique du projet. Deux points juridiques peuvent donner lieu à des difficultés : tout d'abord la responsabilité de chaque intervenant de même que la question de la propriété intellectuelle. Ces deux points seront évités par une traçabilité de l’action de chacun sur la maquette numérique.
III. La mise en œuvre du BIM dans une consultation
Le maître d’ouvrage souhaitant gérer son patrimoine immobilier en mode BIM pourra établir une charte BIM, celle-ci lui permettant de traduire sa politique en objectifs de qualité et de performances attendues. Il peut se faire aider en cela par une AMO BIM. Même en l’absence de politique patrimoniale globale incluant le BIM, on peut néanmoins s’engager dans une démarche BIM de façon ponctuelle, là encore une aide sous la forme d’un AMO spécialiste en BIM est recommandée.Très concrètement, une démarche BIM dans une consultation signifie la demande ou la fourniture d’une maquette numérique et l’élaboration d’un cahier des charges BIM par le pouvoir adjudicateur. Le cahier des charges BIM est un document précisant pour le projet les attentes du maître d’ouvrage en terme de BIM, c'est-à-dire d’exploitation de la maquette numérique, incluant les exigences de la charte BIM éventuelle du maître d’ouvrage.En réponse à ce cahier des charges, le maître d’œuvre devra fournir une convention BIM par laquelle il décrira comment il compte répondre à ces attentes. Il décrira notamment l’organisation à mettre en place, la représentation graphique adoptée, la gestion et le transfert des données du projet, ainsi que le rôle de chaque intervenant à la construction, et l’environnement collaboratif du BIM.La police de ce travail collaboratif résultant du BIM ou BIM management peut être confiée à un membre de l’équipe de maîtrise d’œuvre. Cependant le maître d’ouvrage peut également confier cette mission à l’AMO BIM évoqué plus haut.Enfin, la maîtrise d’ouvrage pourrait également assurer elle-même le management du BIM pour peu qu’elle dispose en son sein des compétences en la matière. À noter que cette démarche BIM au niveau de la maîtrise d’œuvre signifie que la convention BIM, une fois acceptée par le maître d’ouvrage, deviendra une pièce contractuelle non seulement du contrat de maîtrise d’œuvre mais également des contrats avec les autres acteurs, contrôleur technique, coordonnateur en sécurité et en protection de la santé et surtout les entreprises de travaux. Comme l’écrit dans son bulletin de mars dernier le Délégué général du syndicat national du second œuvre : « Au sein de l’équipage collaboratif embarqué dans le système, le savoir sera pouvoir. Or, entre l’artisan, la grande entreprise générale et la multinationale de l’industrie, les moyens de savoir ne sont pas égaux. D’où le risque d’un nouveau clivage, notamment au sein des PME : "BIM or not BIM". Il serait illusoire de vouloir arrêter la révolution numérique du BIM qui va se traduire par un big bang méthodologique lui-même susceptible d’un grand boum dans la structure traditionnelle du secteur. Chacun devra y trouver sa juste place. »Source :
Publié le 24 novembre 2016