L’obligation de reprise du personnel dans les marchés publics
L’obligation de reprise du personnel dans les marchés publics de nettoyage ou de collecte des ordures ménagères est connue, cependant son contour semble complexe et peut même surprendre au premier abord. On comprend mieux cette obligation lorsqu'elle est reformulée comme étant le maintien des contrats de travail de salariés dont l’activité est directement liée au marché public de services que relance la collectivité publique. Cette problématique tant en droit français qu’en droit européen a été prise en compte et a convergé avec la directive 2001/23 du 12 mars 2001, de codification de la directive 77/187.
L’importance du sujet pour les salariés en question avait poussé la Commission européenne à établir, en 1997, au surplus de la directive de 1977, un mémorandum explicatif sur les droits acquis des travailleurs. Nous allons dans un premier temps analyser le fondement juridique de cette obligation de reprise du personnel (I), puis nous étudierons l’obligation d’information des candidats qui en résulte pour le pouvoir adjudicateur dans le cadre d’une consultation comportant une obligation de reprise de personnel (II).
I. Fondement juridique de l’obligation de transfert des contrats de travail
En 1978, ce mécanisme est étendu par la Cour de cassation à la perte d’un marché par un prestataire. Critiquée, cette extension applicable aux marchés publics de services est restreinte par cette même Cour de cassation dans une décision du 15 novembre 1985 qui précise que la modification de la situation juridique de l'employeur « ne peut résulter de la seule perte d'un marché ». Il est à noter que l’article L. 1224-1 du Code du travail dispose que : « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».
La CJCE, en application de la directive n° 77/187 du Conseil en date du 14 février 1977 sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, en a décidé autrement par un arrêt du 10 février 1988, rendu dans l'affaire Daddy's Dance Hall A/S, ce qui a obligé la Cour de cassation à opérer un nouveau revirement dans des arrêts rendus en Assemblée plénière le 16 mars 1990.
Pourtant, le plus souvent, c’est en vertu de l’application de conventions collectives et d’accords d’entreprises que cette obligation devra être prise en compte par les pouvoir adjudicateurs. En effet, suite à la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation en 1985, cette obligation a été établie dans de nombreuses conventions collectives dans le secteur du nettoyage, des entreprises de sécurité, de la restauration collective, de la collecte des déchets et dans celui des transports routiers urbains et interurbains.
II. L’obligation d’information des candidats lors de la consultation
En effet, l’égalité de traitement des candidats commande que dans le cadre de consultations portant sur des marchés avec reprise de personnel, les opérateurs économiques puissent incorporer dans leur offre les charges que représente cette contrainte, sans quoi, seule l’entreprise sortante est en capacité de proposer une offre satisfaisante. Toutefois, cela n’implique pas que chaque candidat répercute entièrement dans son offre le coût correspondant à la reprise des salariés, comme l’a indiqué le Conseil d’État dans une décision du 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud : « Considérant, toutefois, que si le coût correspondant à la reprise de salariés imposée par les dispositions du Code du travail ou par un accord collectif étendu constitue un élément essentiel du marché, dont la connaissance permet aux candidats d'apprécier les charges du cocontractant et d'élaborer utilement une offre, le prix de cette offre ne doit pas nécessairement assurer la couverture intégrale de ce coût, compte tenu des possibilités pour l'entreprise de le compenser, notamment par le redéploiement des effectifs en son sein ou, si l'exécution de ce marché n'assure pas un emploi à temps plein des salariés concernés, de la possibilité de leur donner d'autres missions et donc de n'imputer, pour le calcul du prix de l'offre, qu'un coût salarial correspondant aux heures effectives de travail requises par la seule exécution du marché ».
En revanche, il est certain que l’obligation d’information des candidats n’est absolument pas respectée lorsque le pouvoir adjudicateur prévoit « le simple renvoi, dans le cahier des clauses techniques particulières, à la notion générale de législation sociale ; il n’apparaît pas que le département aurait suffisamment informé les candidats sur l’existence et l’étendue de l’obligation de reprise des personnels de l’entreprise sortante » (TA Limoges, 5 avril 2012, n° 1001642).
Ainsi, le dossier de consultation doit non seulement informer de l’existence de cette obligation de reprise de personnel, mais aussi fournir des informations précises sur la masse salariale.
Il est donc recommandé de prévoir dans ce type de contrat des clauses obligeant le titulaire à transmettre avant la fin du marché les informations concernant le personnel à reprendre assorties, éventuellement, d'une clause de pénalité pour tout retard sur ce point.
Sources :
- Directive n° 2001/23 du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements
- Mémorandum explicatif de la Commission européenne du 11 mars 1997 sur les droits acquis des travailleurs
- CJCE, 10 février 1988, Daddy's Dance Hall A/S, aff. C-324/86
- CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159
- CE, 1er juin 2011, Bureau Veritas, n° 341323
- CE, 19 janvier 2011, Société technique d’environnement et propreté, n° 340773
- CE, 28 juillet 1999, Bouygues et autres, n° 206749
- Cass., 15 novembre 1985, Nova services, n° 82-40301
- « Comment garantir l’égalité de traitement entre le candidat sortant et les autres candidats dans un marché de nettoyage avec reprise du personnel ? » – Fiche de la DAJ, ministère de l'Économie