Raccourci pour l’innovation ou comment court-circuiter les règles de mise en concurrence ?
Audacieuce, spectaculaire, étonnante... Ces adjectifs pourraient qualifier la déclaration de Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique qui propose un seuil de dispense de mise en concurrence de marché public à 100 000 euros HT pour les achats innovants, à titre expérimental et ce, pour une durée de 3 ans.
C’est en tout cas une des 100 propositions faites lors du salon Viva Tech de Paris qui a eu lieu du 24 au 26 mai 2018.
« Contractualiser plus facilement avec l'État ? Avec un relèvement du seuil de dérogation aux règles de mise en concurrence et de publicité sur les marchés publics (de 25 000 à 100 000€) pour les PME innovantes, c’est possible ! »
Les souffles en sont coupés....
En tant qu’acheteur aguerri, on se demande toutefois aujourd’hui comment « c’est possible ! » et surtout s’il n’y aura pas un effet de contamination.
L’intention de M. Mahjoubi est claire : simplifier la vie des start-up.
L'objectif de la réforme de la commande publique opérée en 2016 est déjà de moderniser et de simplifier le droit des marchés publics, en faveur des entreprises et de l'innovation.
En effet, des outils spécifiques aux achats innovants existent déjà (dialogue compétitif, partenariat d’innovation, procédure concurrentielle avec négociation, etc.), des exonérations (D. n° 2016-360 permettant de passer des marchés publics négociés sans mise en concurrence ni publicité préalables, art. 30) dans certaines conditions, cette annonce peut alors apparaître surprenante et renforcer le scepticisme et/ou la méfiance de certains acheteurs.
Pour rappel, les seuils des procédures formalisées sont des montants fixés par la Commission européenne tous les 2 ans, à partir desquels une procédure de mise en concurrence et des obligations de publicité sont exigées pour l’attribution des marchés publics (ordonnance n° 2015-899) et reflètent une moyenne des pays membres de l’Union européenne.
Les autres seuils – chez nous, 25 000 euros HT – sont nationaux et font parfois l’objet de tremblements juridico-politiques comme ce fut le cas avec la décision Perez. Y aura-t-il une décision Mahjoubi ?
« C’est extrêmement important pour les innovateurs. Au-delà de 25 000 euros, la procédure est tellement lourde qu’il n’y a jamais aucune start-up qui postule. »
Oui mais... cela est le cas pour tous les autres acheteurs dans tous les autres domaines d’achat.
Un relèvement des seuils de dispense de cet acabit conduirait à une dérive totale des attributions de ces marchés. Le « pourquoi pas moi ? » y aurait toute sa légitimité. De quoi donc attiser certaines jalousies.
Des éclaircissements seraient également les bienvenus.
Ce seuil passe de 25 000 à 100 000 euros HT (tout de même) et concernerait uniquement les achats innovants des start-up et ce, à titre d’expérimentation pour une durée de 3 ans.
Prenons « l’achat innovant ».
Les dispositions de l’article 25 II 2° du décret n° 2016-360 nous en donne bien une définition :
« 2° Lorsque le besoin consiste en une solution innovante. Sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise ; » mais est-ce cela l’achat innovant tel que l’entend M. Mahjoubi ?
Ou bien le périmètre des acheteurs : s’agit-il des seuls PME qui pourraient bénéficier de ce cadeau ?
Reste à convaincre les juges que ce seuil reste raisonnable car nul doute que celui-ci fera l’objet de recours.
Aujourd’hui, moins d’un mois après la tenue de ce salon, aucune autre déclaration sur le sujet ni aucune réponse des juristes à leur question « Comment est-ce possible ? ».
Et vous : convaincus ?