Deux banderilles dans Béziers II ?

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L’office du juge du contrat semble être au cœur des préoccupations du Conseil d’État depuis quelques années. Contentieux précontractuel, contractuel, ouverture des recours aux tiers, quelle qu’en soit la forme, le procès du contrat administratif est en train d’évoluer comme jamais. La mutation est intéressante sur le plan juridique, mais elle est une menace pour la sécurité contractuelle, depuis la passation jusqu’à l'exécution des contrats. Sans doute conscients de cette menace, les juges du Palais Royal établissent quelques limites à leur jurisprudence. Le contentieux contractuel en particulier, en référé ou non, a été récemment précisé. Ce sont ces précisions qu’il faut observer, comprendre et utiliser (I) afin de stabiliser l’environnement contractuel (II).

I. Les recours Béziers, un cadre procédural nouveau en cours de précision

Depuis l’arrêt dit Béziers I du 28 décembre 2009, le juge du contrat administratif a un champ d’intervention étendu : le contrôle de la passation ne se solde plus forcément par une annulation ou une validation. Le juge administratif est doté d’outils nuancés, permettant de conserver le contrat. Il peut ainsi conserver le contrat mais l'amputer de certaines clauses, voire obliger l'administration à verser des dommages et intérêts à son cocontractant. Ce nouvel office du juge est fondé sur les principes de loyauté et de stabilité contractuelle. Le Conseil d’État, sans doute conscient de la nouveauté et donc des attentes de précision, a établi une hiérarchie des situations dans l’arrêt Manoukian du 12 janvier 2011. La stabilité du contrat prévaut sur sa légalité. Mais si les atteintes aux règles de passation sont trop graves, alors l’annulation est inévitable.Ce qui est intéressant, c’est le pont érigé par le Conseil d’État entre le contentieux de la passation et le contentieux de l’exécution. Ce pont, c’est le lien entre les arrêts Béziers I et Béziers II.Jusqu’à l’arrêt Béziers II, l’office du juge du contrat était en principe de fixer une juste indemnisation mais d’accepter la résiliation. Exceptionnellement, il avait le pouvoir d’annuler la décision de résiliation dans certains cas. Ainsi en était-il d’un contrat de concession de service public (CE , 9 juillet 1997, Ville de Cannes, n°163238-163240), d’une convention d’occupation du domaine public (CE, Sect., 13 juillet 1968, Société des Établissements Serfati, n° 73161), d’un contrat portant sur l’organisation d’un service public entre plusieurs personnes publiques (CE, 13 mai 1992, Ville d’Ivry, n° 101578) ou pour les marchés de travaux publics depuis l’arrêt de Section du 26 novembre 1971, dit SIMA (n°75710).

Le Conseil d’État a profité d’être saisi par la commune de Béziers, dans la même affaire que celle qui accoucha de la jurisprudence dite Béziers I, pour généraliser ces exceptions. Le demandeur peut également demander au juge d’ordonner, en référé, la suspension de la résiliation. Donc de reprendre l’exécution contractuelle. Le cadre que fait émerger le Conseil d’Etat est très clair : la stabilité du contrat, quelle qu’en soit la phase, est privilégiée. Or, stabiliser le contrat est critiquable aussi bien en l’examinant sous l’angle de la continuité que de la mutabilité du service public. Revenir sur la jurisprudence Magnac-Laval n’est pas en soi un problème, mais cela ampute l’administration d’un pouvoir exorbitant de droit commun, celui-là même qui conditionnait la qualification de contrat administratif. Mis en perspective, l'utilisation de la loyauté contractuelle et le recul du pouvoir exorbitant montrent un rapprochement entre le contrat administratif et le contrat de droit privé.L’arrêt Béziers II a donné à l’annulation et la révision de la décision de résiliation du contrat une portée générale, et donc autant de potentiel que la solution classique du recours indemnitaire.Potentiel seulement car le recours Béziers II est soumis à certaines conditions. Il s’agit d’un recours de plein contentieux, ouvert dans les 2 mois à compter de la notification de résiliation.Le Conseil d’État a commencé à préciser ces conditions, et ce qu’il en ressort est rassurant. L’arrêt dit Proresto du 30 mai 2012 a fait du délai de deux mois un délai préfix insusceptible d’être prorogé par un recours administratif. Dès lors, à partir du moment où l'administration notifie à son cocontractant sa décision de résilier le contrat, celui-ci a deux mois pour contester cette décision devant le juge du plein contentieux, sous peine de voir sa demande être irrecevable. En restreignant ainsi l’accès au recours Béziers  II, le juge administratif suprême dévoile son absence d’hostilité envers la résiliation du contrat. La position du Conseil d’État n’est donc pas aussi abrupte qu’elle y paraît : seuls les abus graves au stade de la passation et de l’exécution dans le but d’échapper à ses obligations contractuelles seront sanctionnés par la poursuite des relations conventionnelles. C’est de ce constat qu’il faut partir pour bâtir une réponse adaptée et sécurisante pour les pouvoirs adjudicateurs.

II. Contourner les recours Béziers, une opportunité sécurisante

Sécuriser son droit à résilier le contrat peut être le fruit de différentes pratiques, mais toutes prennent racine dans la même phase : la passation du contrat, terreau, comme rappelé ci-dessus, de l’élargissement de l’office du juge. Le fil rouge de cette réflexion est d’éviter la voie contentieuse, qu’elle soit précontractuelle ou contractuelle, au stade de la passation ou de l’exécution. Donc de transiger voire de compromettre. Le recours à l’arbitrage étant encore une interdiction de principe pour les personnes publiques comme le rappelle l’article 2060 du Code civil, un montage juridique permet de l'éviter tout comme le recours Béziers II. Mais rien n'empêche de compromettre de manière satisfaisante.Dans un article remarqué, un juriste de la direction des Affaires juridiques a conclu son propos par un conseil : prévoir dans le contrat une clause imposant le recours administratif avant tout recours contentieux. Or, comme nous venons de le voir, depuis la jurisprudence Proresto, ce recours ne proroge pas le délai de saisine du juge dans un recours Béziers II. L’opportunité est séduisante : le cocontractant de l’administration, pour faire valoir son droit à la poursuite du contrat, se trouve dans l’obligation de formuler un recours administratif destiné à l’autorité qui a pris la décision. Détournée, cette voie paraît donc très efficace.Pour autant, il faudrait s’en méfier. Le Conseil d’État a fondé sa décision Béziers I sur le principe de loyauté des relations contractuelles. Or, une telle clause serait tout sauf loyale, puisqu’elle n’aurait pour but que d’éviter un recours Béziers II. De plus, les titulaires de contrats, pris au piège, se méfieront à l’avenir de telles clauses, voire même de tels contractants, sauf si l’administration veille à faire de ce recours administratif un moyen de discuter de manière informelle avec le titulaire.Dans un tel cas, la clause imposant le recours administratif fait coup double : prévenir un recours contentieux et guérir sa réputation vis-à-vis du titulaire. Elle s’assure de la résiliation du contrat en négociant l'indemnité directement avec le titulaire, mais aussi de la possibilité de conclure de nouveaux contrats avec son ancien contractant !L’autre chemin, plus étroit, est bien la voie de l’arbitrage. Introduit en 1975 pour les établissements publics industriels et commerciaux, l’arbitrage peut être utilisé par des personnes publiques dans deux cas : les contrats de partenariat public-privé et la liquidation des dépenses de travaux et de fournitures. Excepté le cas spécifique des contrats de partenariat, la liquidation de dépenses de travaux et fournitures est un cas de figure qui semble s’appliquer à toutes sortes de contrat public, comme le prévoit le Codes des marchés publics à l'article 128. Si l’État ne peut y recourir que par décret pris en Conseil des ministres, rien ne semble empêcher les collectivités de l’utiliser.Cette solution, soumise à la procédure civile (C. civ., art. 1442 et s.), a pour avantage de solder le litige avant toute saisine du juge. Mais elle a pour conséquence, selon le droit judiciaire privé, de suspendre le délai de prescription de l’action. Sauf à considérer que le délai préfix de deux mois n’est pas touché par cette règle, lui qui échappe déjà aux règles des articles R. 421-1 et R. 421-5 du Code de justice administrative. La jurisprudence Proresto aurait ainsi un avantage insoupçonné : permettre d'utiliser l'arbitrage pour écarter tout risque contentieux.Les conséquences des jurisprudences Béziers, et en particulier celles de Béziers II, ne sont pas anodines car elles remettent en cause certains pouvoirs de l’administration contractante. Et pourtant, la position nuancée du Conseil d’État n’empêche pas de contourner les menaces qu’elle fait peser sur les droits contractuels des adjudicateurs.Sources :