L'accord-cadre multi-attribué et les défis du multivers contractuel

Par Olivier Giannoni

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Bienvenue dans le multivers contractuel !

L'avis Association Imedi du Conseil d'État du 24 novembre 2023 (CE, avis, 24 nov. 2023, no 474108), – interprété avec les conclusions du rapporteur public – affirme qu'il existe autant de marchés publics que de titulaires d’un accord-cadre.

Cette prise de position, avec notamment des répercussions sur la modification des supports contractuels, met en lumière l'importance de la multi-attribution. Celle-ci garantit un approvisionnement constant des services pour les bons de commande, tout en permettant une adaptation du contenu contractuel avec les marchés subséquents en cours d'exécution.

I. – Accord-cadre, bons de commande et marchés subséquents

L'article L. 2125-1 du Code de la commande publique définit l'accord-cadre comme une méthode d'achat permettant la présélection d'un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de la conclusion d'un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer sur une période déterminée.

Cependant, ainsi qu’en relatent les conclusions du rapporteur public, sous cette dénomination, deux mécanismes distincts se cachent, comme le précise l'article R. 2162-2 du même code :

  • l'accord-cadre avec bons de commande, où toutes les dispositions contractuelles sont définies dans l'accord-cadre lui-même, qui s'exécute sans nécessiter une nouvelle mise en concurrence, grâce à l'émission de bons de commande. Le bon de commande est considéré comme une simple mesure d'exécution du contrat (voir CE, 25 oct. 2013, no 369806, Région Languedoc-Roussillon) ;
  • l'accord-cadre avec marchés subséquents, qui ne fixe qu'une partie des dispositions contractuelles, lesquelles seront détaillées lors de la conclusion de marchés subséquents, après une nouvelle mise en concurrence avec les attributaires présélectionnés.

Du point de vue de la stratégie d'achat, le premier mécanisme permet un processus d'achat séquentiel et rapide, en réponse aux besoins des services pendant la période de validité du contrat (Giannoni O., Stratégie et techniques de l’achat public, 2e éd., 2022, Berger-Levrault, p. 127 et s.). Cependant, en l'absence d'une clause de réexamen permettant une adaptation des prestations et des produits initialement prévus, il existe un risque de péremption rapide du contenu contractuel face aux évolutions législatives ou technologiques. Ce défaut peut être corrigé dans le cadre de l'accord-cadre avec marchés subséquents, où une partie du contenu peut être déterminée après l'entrée en vigueur de l'accord-cadre. En cas de multi-attribution, la conclusion d'un marché subséquent entraîne toutefois des délais supplémentaires. Il reste possible de créer un accord-cadre combinant à la fois des bons de commande et des marchés subséquents pour tirer parti des avantages offerts par les deux dispositifs (voir TA Melun, no 1703704, 29 mai 2017, SAS groupe Nasse).

II. – Multi-attribution : multiples marchés

Contrairement au système d'acquisition dynamique, l'accord-cadre peut être attribué à plusieurs opérateurs économiques. Cette multi-attribution peut suivre différentes modalités telles que la répartition des bons de commande à la défaillance ou avec un mode de rotation en fonction d’un volume ou d’un seuil de commandes déterminé. Cette attribution multiple peut se faire au niveau de l'accord-cadre lui-même ou du marché subséquent, démontrant ainsi la flexibilité de la technique de l'accord-cadre.


L'avis du Conseil d'État souligne que chaque attributaire à l'accord-cadre constitue un tiers vis-à-vis des autres attributaires, leur conférant potentiellement le droit d'introduire un recours en contestation de la validité du contrat des autres.

Le rapporteur public a avancé plusieurs arguments pour soutenir cette position. Tout d'abord, il a souligné la formulation du Code de la commande publique décrivant l'accord-cadre comme une « technique d'achat » visant à présélectionner un ou plusieurs opérateurs « en vue de conclure un contrat ».

Ensuite, il s’est prévalu du fait que la résiliation à l'égard d'un attributaire était admise ce qui indiquait, selon lui, l'existence de plusieurs contrats, sinon cette défaillance devrait être interprétée comme un changement nécessitant une mise en concurrence. Enfin, il a considéré que l'exigence d'un montant maximum supposait nécessairement une appréciation par contrat et par attributaire.

Cependant, ces arguments peuvent tous être sujets à débat. La formulation du code ne s'oppose pas à la conclusion d'un contrat avec plusieurs opérateurs, l'article R. 2194-6 du Code de la commande publique permet un changement de titulaire en cas de défaillance si une clause est prévue initialement, ce qui est bien le cas de la clause de défaillance, et l'exigence de montant maximum peut être indifféremment placée au niveau de l'accord-cadre et du marché subséquent. Elle peut donc viser un ou plusieurs opérateurs économiques.

Le principal paradoxe de la solution dégagée est selon nous qu’elle ouvre la possibilité pour un attributaire de se prévaloir d'une illégalité existante dans son propre contrat afin d'annuler le marché d'un autre attributaire alors que lui-même pourrait poursuivre sa relation contractuelle avec l'acheteur public. Ainsi, rien ne fait obstacle à ce qu’un attributaire se prévale à l’encontre d’un autre attributaire de l’illégalité d’une clause de révision de prix en ce qu’elle est fondée sur l’inflation alors que cette clause qui est dans le cahier des clauses administratives de l’accord-cadre est également présente dans son propre contrat avec l’autorité contractante.

Il nous semble que le Conseil d’État devra compléter cette approche en excluant les clauses administratives ou techniques communes à tous les attributaires de la possibilité d'un recours en contestation. Pour ce faire, il pourrait se fonder sur l’absence d’intérêt lésé pour le requérant attributaire dans cette hypothèse.

III. – Quelles conséquences pratiques en tirer ?

La première est que la multi-attribution ne peut être regardée comme une solution pour se préserver des contentieux entre titulaires devant le juge du référé (TA Melun, 29 mai 2017, no 1703704, SAS groupe Nasse) et devant le juge du fond.

La seconde est que cet avis ouvre la possibilité d’une évolution différenciée du contenu des obligations contractuelles entre attributaires d’un même accord-cadre. Pour des raisons de simplicité de pilotage des contrats, il peut toutefois être opportun de faire des avenants avec tous les titulaires lorsque la modification souhaitée concerne une clause commune, voire de procéder à une décision unilatérale. Cette solution n’est pas exclusive de la possibilité de conclure un avenant avec un seul titulaire si la modification concerne des stipulations qui lui sont propres, car en relation avec son offre.