L’achat en dessous de 15 000 €
Les pouvoirs adjudicateurs peuvent acheter sans mise en concurrence ni publicité lorsque leur achat ne dépasse pas 15 000 € hors taxes. Ce seuil, dit de « dispense de procédure », a fait des allers-retours tel un yo-yo ces dernières années. Nous allons remonter dans le passé afin de comprendre pourquoi ce seuil a autant varié (I) et prendre conscience que la légalité de ce seuil touche à l’interprétation même que l’on se fait des principes fondamentaux de la commande publique que sont la liberté d’accès, l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures (II). Puis, nous aborderons les précautions minimum à prendre lorsque l’on souhaite acheter sans mise en concurrence en dessous de 15 000 € (III).
I. Les allers-retours du seuil de dispense de procédure
Prévu à l’article 28 du Code des marchés publics, le seuil de dispense de procédure de 4 000 € est passé à 20 000 € en décembre 2008, puis est revenu à 4 000 € en mai 2010 et, enfin, a été relevé à 15 000 € le 11 décembre 2011.Le décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, pris dans le cadre du plan de relance de l’économie, a porté le seuil à 20 000 € en dessous duquel l’achat peut se faire sans mise en concurrence ni obligation de publicité. Cette mesure visait à une plus grande flexibilité de l’achat et à réduire le coût du formalisme procédural qui parfois pouvait dépasser la valeur de l’achat lui-même.Salué par les petites collectivités et par les entreprises, le relèvement de ce seuil a toutefois été annulé par une décision du Conseil d’État en date du 10 février 2010 : le fameux arrêt Perez. Le Conseil d’État a considéré que le rélèvement, de manière générale, du seuil de dispense de procédure de 4 000 € à 20 000 € était contraire aux principes de la commande publique. Néanmoins, par précaution, le Conseil d’État n'a annulé le décret du 19 décembre 2008 qu’à compter du 1er mai 2010.Par un décret en date du 9 décembre 2011 entré en vigueur le 12 décembre 2011, ce seuil a de nouveau été remonté à 15 000 €. Cependant, comme le précise la direction des Affaires juridiques (DAJ) de Bercy, ce relèvement de seuil s’accompagne, aujourd’hui, de prescriptions d’emploi à respecter par l’acheteur public, censées permettre le respect de principes fondamentaux de la commande publique. Ainsi, l’article 28-III du Code dispose que « le pouvoir adjudicateur peut également décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables si son montant estimé est inférieur à 15 000 € HT. Lorsqu'il fait usage de cette faculté, il veille à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu'il existe une pluralité d'offres potentielles susceptibles de répondre au besoin ».Le nouveau Guide de bonnes pratiques en date du 14 février 2012 va plus loin. Il conseille, en son point 10.3.1, « l’établissement d’une note de traçabilité de l’achat » et invite « les acheteurs publics à s’informer sur l’offre existante sur le marché. Lorsque le pouvoir adjudicateur a une bonne connaissance du marché, il peut procéder à l’acte d’achat sans formalité préalable. À défaut, il peut solliciter des opérateurs économiques la production de devis ou procéder à une mesure de publicité minimale, par exemple sur son profil d’acheteur ».
II. Un seuil sous réserve d’interprétation des principes fondamentaux de la commande publique
Visiblement, la DAJ est consciente des risques juridiques qu’encourt ce relèvement général du seuil à 15 000 € qui était en soi considéré comme incompatible avec le respect des principes fondamentaux (CE, Sect., 10 février 2010, Perez, n° 329100). C’est pourquoi les préconisations faites aux acheteurs, à l’article 28 du code, comme celle de ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu'il existe une pluralité d'offres potentielles, sont censées assurer le respect de ces mêmes principes. Néanmoins, cela semble ne pas suffire, puisque dans le nouveau Guide de bonnes pratiques, il est conseillé aux acheteurs de procéder à une mise en concurrence minimale selon l’offre existante sur le marché et de ne pas systématiquement se dispenser de mise en concurrence en deçà du seuil des 15 000 € ; c’est implicitement reconnaître que la règle de droit n’est peut être pas suffisante eu égard aux principes fondamentaux de la commande publique. À noter que ce seuil ne concerne que les pouvoirs adjudicateurs, les entités adjudicatrices étant toujours soumises à un seuil de dispense de procédure de 20 000 € qui, pour l’instant, n’a pas été remis en cause.Afin de sécuriser ce relèvement réglementaire du seuil de dispense de procédure à 15 000 €, l’article 118 de la loi de simplification du droit, publiée au Journal officiel le 23 mars dernier, complète la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques par un article 19-1, au contenu identique à l’article 28-III du code. Lors des débats parlementaires, le Gouvernement, par la voix du ministre Frédéric Lefebvre, souhaitait abandonner ce dispositif, pour lui devenu inutile ; le député Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale l’a maintenu, pour éviter que le Conseil d’État puisse, par sa jurisprudence et en s’appuyant sur les recommandations de la DAJ mentionnées dans le Guide de bonnes pratiques, modifier la portée de l’article 28-III du Code.
III. Les précautions à prendre pour acheter sans mise en concurrence en dessous de 15 000 €
La première précaution à prendre consiste à vérifier que l’achat se situe réellement en dessous de 15 000 €, c'est-à-dire procéder à une correcte computation des seuils. Rappelons que, pour être dispensé de procédure, l'achat doit relever d’une famille homogène de fournitures ou services ou d’une opération de travaux au sens de l’article 27 du CMP, dont le montant global ne doit pas dépasser, sur un an, le seuil des 15 000 €.La deuxième précaution conseillée, est d'assurer un minimum de traçabilité de l’acte d’achat, afin de se prémunir contre le délit de favoritisme. L’acheteur doit pouvoir expliciter, lors d’un contrôle éventuel, pourquoi il a acheté auprès de tel ou tel fournisseur et apporter la preuve que son achat relève, comme le martèle le député Warsmann, « d’une gestion en bon père de famille » et non d’un favoritisme quelconque. Pour rappel, le délit de favoritisme visé à l’article 432-14 du Code pénal consiste à « procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ». Celui-ci peut concerner des achats de très faible montant, comme l’a rappelé la chambre criminelle de la Cour de Cassation par son arrêt du 14 février 2007, n° 06-81924.Sources :
- CMP, art. 28
- C. pén., art. 432-14
- CE, Sect., 10 février 2010, Perez, n° 329100
- Cass., crim., 14 février 2007, n° 06-81924