Le travail illégal dans les marchés publics
Le droit des marchés publics prohibe, en toute logique, l’emploi illégal de main-d’œuvre. Cependant, ce corpus de règles reste assez mal maîtrisé, en pratique, en raison de son « éclatement ». En effet, les dispositions applicables à la matière sont réparties entre, d’une part, le Code du travail et, d’autre part, le Code des marchés publics. Enfin, il sera question de la modification de certaines dispositions du Code du travail, actuellement à l’étude au Parlement.
I. Les infractions sanctionnées par le Code du travail
1.1. Le travail dissimulé
Le travail dissimulé est défini par les articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail. Il existe deux formes de travail dissimulé :
- la dissimulation d’activité : l’entreprise n’a pas demandé son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou à l’URSSAF lorsque celle-ci est obligatoire ;
- la dissimulation d’emploi salarié : l’entreprise n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur.
Ces infractions sont passibles de 225 000 € d’amende pour la personne morale.
1.2. Le prêt illicite de main-d’œuvre
Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre est interdite, même si quelques exceptions existent telles que l’intérim, le portage salarial et les agences de mannequins (C. trav., art. L. 8241-1).Le délit de marchandage et le prêt illicite de main-d’œuvre sont sanctionnés de 150 000 € d’amende pour la personne morale.
1.3. Le marchandage
Le marchandage se définit comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié en éludant l'application de dispositions légales ou de stipulations d'un accord collectif. (C. trav., art. L. 8231-1). La qualification de cette infraction est aussi possible en cas de prêt illicite de main-d’œuvre. Les deux délits sont donc souvent concomitants.
1.4. L’emploi d’étrangers sans titre
Nul ne peut, que ce soit directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France (C. trav., art. L. 8251-1). Cette infraction est passible de 75 000 € d’amende pour la personne morale.Le BTP étant un secteur vedette en la matière, le nouveau cahier CCAG Travaux prévoit désormais un article 31.5 spécifique sur la lutte contre le travail dissimulé, introduisant, entre autres, un mécanisme d’identification des travailleurs sur le chantier.
II. Les dispositifs de contrôle prévus par le Code des marchés publics
Le travail au noir ou travail clandestin, dénommé « travail dissimulé » depuis la loi n° 97-210 du 11 mars 1997, « compromet l’exercice loyal de la concurrence, réduit les ressources de l’État et de la protection sociale et s’oppose au développement de l’emploi » (in Rapport sur le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail clandestin par M. Rudy Salles AN n° 3190, 1997). Ce constat explique que le droit des marchés publics se soit saisi de ce phénomène, tant au stade de la consultation que celui de l’exécution des marchés.
2.1. Pendant la phase de consultation
Dès le stade de la consultation, il est prévu l’exclusion des entreprises « qui ont fait l'objet, depuis moins de cinq ans, d'une condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour les infractions mentionnées aux articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-5, L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8251-1 du Code du travail » (Ord., n° 2005-649, art. 8, al. 2, visé par l’article 38 de cette même ordonnance, lui-même mentionné par l’article 43 du Code des marchés publics). Cette interdiction est vérifiée par une attestation sur l’honneur demandée à l’ensemble des candidats.Mais le contrôle réel de cette interdiction n’affecte en pratique que l’attributaire du marché car il est le seul à produire le formulaire « DC 6 » relatif à la lutte contre le travail dissimulé.
2.2. Pendant la phase d’exécution
Lors de l’exécution du marché, une vérification est faite tous les six mois (CMP, art. 46-I, 1°). Dans l’hypothèse où le titulaire ne serait plus en règle, l’article 47 du Code des marchés publics prévoit la résiliation du marché, aux torts exclusifs du contrevenant. Cette obligation de vérification découle des dispositions de l’article L. 8222-1 du Code du travail qui fait obligation à « toute personne [de] vérifie[r] lors de la conclusion d'un contrat […] [les] formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ». De plus, en vertu de l’article L. 8222-5 du Code du travail, « le maître de l'ouvrage ou le donneur d'ordre, informé par écrit par un agent de contrôle […], de l'intervention d'un sous-traitant ou d'un subdélégataire en situation irrégulière au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 enjoint aussitôt à son cocontractant de faire cesser sans délai cette situation ». La méconnaissance de cette obligation est en outre sanctionnée par une solidarité pénale et financière s’agissant du paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires.
III. L’article 54 de la proposition de loi Warsmann
L’article 54 de la proposition de loi du député Jean Luc Warsmann, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et transmise au Sénat en décembre 2009, propose de modifier le Code du travail en introduisant un nouvel article L. 8222-6-1 et en modifiant l’article L. 8222-6. Voici la teneur de cette proposition :
- article L. 8222-6 :« Toute personne morale ayant contracté avec une entreprise, informée par écrit par un agent de contrôle, de la situation irrégulière de cette entreprise au regard des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5, l’enjoint aussitôt de faire cesser sans délai cette situation. Le donneur d’ordre personne morale peut appliquer les pénalités prévues par le contrat, dans la limite de 10 % du montant du contrat ou rompre le contrat sans indemnité, aux frais et risques de l’employeur. Le montant de ces pénalités est versé par le donneur d’ordre à l’organisme chargé du recouvrement des cotisations et des contributions de sécurité sociale dont relève l’entreprise avec laquelle il a contracté. Si le contrat n’est pas rompu, l’entreprise mise en demeure apporte au pouvoir adjudicateur donneur d’ordre la preuve qu’elle a mis fin à la situation délictuelle et acquitté la totalité des cotisations et contributions sociales correspondantes. Le donneur d’ordre, personne morale, informe l’agent auteur du signalement des suites données par l’entreprise à son injonction » ;
- article L. 8222-6-1 : « Tout marché peut mentionner l’engagement du cocontractant du donneur d’ordre à respecter les dispositions prévues aux articles L. 8222-1 et suivants relatives au travail dissimulé et prévoit des sanctions en cas de manquement contractuel. Dans ce cas, le cocontractant est dispensé de la production des déclarations sur l’honneur requises par les dispositions du Code du travail prises en application de l’article L. 8222-1 ».
Cette proposition présente un caractère louable car elle a pour objet d’alléger les formalités semestrielles, aujourd’hui bien trop lourdes pour les pouvoirs adjudicateurs – et, d’ailleurs, souvent « oubliées ». Elle nécessitera cependant une modification de l’article 47 du Code des marchés publics, à défaut de quoi il deviendrait incompatible avec les nouvelles dispositions du Code du travail. Sources :
- CMP, art. 43, 46 et 47
- C. trav., art. L. 8222-1 et s.
- Formulaire DC 6