Commande publique et préférence locale : où en sommes-nous ?
À l’occasion de la présentation de son premier budget le 8 avril 2016, Laurent Wauquiez, nouveau président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a indiqué qu’il allait mettre en place une politique de préférence régionale pour les marchés publics. Mais est-ce juridiquement possible de prévoir des critères d’attribution fondés sur l’implantation géographique des candidats?
Après avoir envisagé les marchés publics « Made in France » dans la Lettre Légibase Marchés publics n° 72, nous allons poursuivre notre étude en nous concentrant plus précisément sur les moyens mis à la disposition des acheteurs pour favoriser le « local » dans leurs marchés publics sans pour autant contrevenir aux règles issus du droit national et communautaire.
À titre liminaire, il convient d’opérer une précision terminologique. Il est important de bien distinguer la notion de « circuit court » de celle de « préférence locale ». Le « circuit court » vise à limiter le nombre d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur final alors que la « préférence locale » privilégie un système de distribution basé sur un champ géographique restreint.
La préférence locale est interdite dans les marchés publics en France et de manière plus générale en Europe. Toutefois, sans autoriser l’inscription de la préférence locale dans les pièces des marchés publics, « en maniant les critères d’attribution et les conditions d’exécution, on peut tendre vers cela » selon les propos de Jean Maïa, Directeur des affaires juridiques du ministère de l’Économie, tenus le 10 mars dernier lors d’une conférence sur les marchés publics.
Il convient tout d’abord de se rafraîchir la mémoire en rappelant le principe selon lequel la préférence locale est interdite dans les marchés publics (I) pour envisager ensuite les atténuations portées à cette interdiction par les réformes successives du droit de la commande publique (II).
I. Rappel du principe : la préférence locale est interdite dans les marchés publics
Le droit de la commande publique interdit les critères de sélection des offres de nature à favoriser les concurrents nationaux ou locaux, c’est-à-dire des critères liés à l’origine ou à la situation géographique des candidats au marché.Au niveau national, cela est contraire aux principes constitutionnels d’égalité de traitement des candidats et de liberté d’accès à la commande publique. La préférence locale comme nationale est par principe discriminatoire. Ces principes ont notamment été rappelés, à plusieurs reprises, dans diverses réponses ministérielles (Question écrite n° 03931 [Sénat] – Réponse publiée le 14 février 2013 ; Question écrite n° 17484 [Sénat] – Réponse publiée le 27 août 2015).Au niveau communautaire, la préférence locale est interdite car elle est contraire au principe de non-discrimination en raison de la nationalité (CJCE, 3 juin 1992, Commission c/ République italienne, aff. C-360/89). La Lettre Légibase Marchés publics n° 46 nous donnait l’exemple de la Commission européenne qui a demandé à la Grèce de garantir un accès équitable aux marchés publics pour la fourniture de services informatiques.Outre le risque d’annulation de la procédure pour illégalité, l’acheteur s’expose à des poursuites pénales en application de l’article 432-14 du Code pénal relatif au délit de favoritisme (Cass, crim, 22 janvier 2014, n° 13-80759).Ainsi, la mise en œuvre de la préférence locale rencontre de nombreux obstacles juridiques malgré la volonté de nombreux acteurs et élus locaux. Le président de la République a même été interpellé en juillet dernier par l’Association des maires de France (AMF) sur les difficultés rencontrées et sur la nécessité d’instaurer « une sorte de droit de préférence » aux produits agricoles nationaux dans les marchés publics.Malgré les principes nationaux et communautaires entravant la mise en œuvre d’une véritable préférence nationale ou locale, la combinaison de divers outils permet de favoriser l’accès des PME locales à la commande publique.
II. Les atténuations au principe : l’inventaire des outils mis à disposition des acheteurs publics
Différentes mesures permettent de privilégier les entreprises locales sans pour autant faire de la préférence locale. Certains outils préexistants ont été confirmés et même accentués avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du décret du 25 mars dernier.Tout d’abord, pour les marchés dont le montant se situe en dessous des seuils de publicité imposés, le pouvoir adjudicateur est libre de favoriser les supports de publicité locaux pour la publicité de la consultation. Outre ce dispositif, il est possible de prendre en compte l’implantation géographique des candidats, si elle est justifiée par l’objet du contrat ou par ses conditions d’exécution. C’est par exemple le cas pour les marchés de maintenance pour lesquels il est nécessaire d’assurer une rapidité d’intervention (Question écrite n° 03931 [Sénat] – Réponse publiée le 14 février 2013). Toutefois, cette possibilité est strictement encadrée. Par ailleurs, l’article 62 du décret prévoit que le pouvoir adjudicateur peut se fonder sur les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture pour attribuer le marché. Toutefois, ce critère de sélection n’est pas synonyme de « proximité géographique » mais plutôt de « circuit court » bien que cela puisse être de nature à favoriser les PME locales. Enfin, outre le label social qui permet de faire du protectionnisme de façon indirecte (article 10 du décret), l’ordonnance et le décret vont encore un peu plus loin dans cette démarche en étendant à tous les acheteurs un dispositif auparavant réservé aux entités adjudicatrices. Ainsi, l’article 3 du décret prévoit que « les acheteurs peuvent introduire dans les documents de la consultation des critères ou des restrictions fondés sur l'origine de tout ou partie des travaux, fournitures ou services composant les offres proposées ou la nationalité des opérateurs autorisés à soumettre une offre ». Il est ainsi possible d’exclure les opérateurs économiques sous certaines conditions. En effet, les acheteurs peuvent prévoir des critères ou des restrictions fondés sur l’origine des produits ou la nationalité des opérateurs économiques, si ces derniers proviennent d’États où il n’existe pas d’équivalent aux grands principes européens de la commande publique (principes de libre échange, égalité de traitement entre les candidats à un marché public…). On constate ainsi que de nouveaux leviers sont mis à disposition des acheteurs afin de dépasser les contraintes liées à l’interdiction de préférence locale et ainsi faciliter l’attribution d’un marché à des entreprises locales. Dès lors, il reviendra aux acheteurs d’utiliser ces outils à bon escient afin de concilier cadre juridique et demande des élus locaux. Affaire à suivre ! Sources :
- Ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics
- Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics
- CJCE, 3 juin 1992, Commission c/ République italienne, aff. C-360/89
- Cass, crim, 22 janvier 2014, n° 13-80759
- Question écrite n° 17484 (Sénat) – Réponse publiée le 27 août 2015
- Question écrite n° 03931 (Sénat) – Réponse publiée le 14 février 2013
- « Laurent Wauquiez : je veux prouver qu'il n'y a pas de fatalité à la dépense publique et à la hausse des impôts » – Les Échos, 1er avril 2016
- Courrier au président de la République – AMF, 23 juillet 2015
Lire également :
- « Les marchés publics "Made in France" » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 72
- « Pas de préférence locale en Grèce, même pendant la crise ! Quid de la France » – La Lettre Légibase Marchés publics n° 46