Préférence locale en Outre-mer : quand l’exception devient la règle !

Par Laure Catel

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Quel est l’impact potentiel du décret n° 2018-57 du 31 janvier 2018 pris pour l’application de l’article 73 alinéa 3 de la loi n° 2017-256 relative à l’égalité réelle outre-mer ? Les départements, régions et collectivités d’outre-mer sont en effet soumis, malgré quelques spécificités, à la réglementation des marchés publics (ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et décret n° 2015-360 du 25 mars 2016). Pour autant, le tissu économique local, principalement composé de très petites (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME), l’insularité et le faible nombre d’opérateurs économiques rendent difficile l’application de certains grands principes de la commande publique comme celui de la mise en concurrence.

Les contraintes auxquelles sont soumis les acheteurs publics de ces territoires sont multiples : il y a d’abord le manque de concurrence du fait du faible nombre d’habitants qui limite la taille et le nombre de ces entreprises. En effet, hormis dans le BTP, peu de grands groupes s’installent en outre-mer. Les entreprises européennes ou métropolitaines ne candidatent d’ailleurs peu ou pas du tout à ces marchés. Il y a ensuite l’impact financier sur le budget des services acheteurs qui sont dans l’obligation de lancer des procédures formalisées et donc de publier au JOUE alors même que la concurrence est factice. Il y a enfin l’éloignement géographique qui constitue une contrainte supplémentaire en termes de délais ou d’empreinte carbone puisque nombre de produits sont importés. L’approche d'achat doit donc être différente de celle de la métropole.

C’est à partir de ce constat qu’a été élaborée et votée la loi du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer. Et notamment l’article 73 alinéa 1 qui permet aux petites et moyennes entreprises locales de se voir réserver jusqu’à un tiers des marchés lancés et ce, dans le but de voir émerger de nouveaux opérateurs locaux susceptibles d’exercer pleinement leur libre accès à la commande publique. L’alinéa 3 stipule quant à lui que : « dans des conditions définies par voie réglementaire, pour les marchés dont le montant estimé est supérieur à 500 000 euros hors taxes, les soumissionnaires doivent présenter un plan de sous-traitance prévoyant le montant et les modalités de participation des petites et moyennes entreprises locales ».

Le décret pour l’application de cet alinéa vient d’être publié au Journal officiel. Il introduit, à titre expérimental jusqu’au 31 mars 2023, une obligation pour les soumissionnaires à un marché public d’une valeur estimée du besoin supérieure à 500 000 euros hors taxes, de présenter un plan de sous-traitance aux PME locales. Cette mesure s’applique à tous les marchés publics pour lesquels une consultation a été lancée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication à compter du 1er avril 2018. Sont concernés toutes les collectivités d’outre-mer. À noter qu’en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna seuls sont concernés les marchés publics passés par l’État et ses établissements publics.

Le plan de sous-traitance est obligatoire et doit renseigner, lorsqu’aucune sous-traitance n’est envisagée, les motifs de ce choix (raisons tenant par exemple à l’absence de PME dans le secteur concerné) et lorsqu’une sous-traitance est envisagée, les modalités de participation des PME à l’exécution du contrat en reprenant notamment, pour chacune des entreprises concernées, les informations prévues par la déclaration de sous-traitance. Ce plan de sous-traitance est particulièrement novateur dans la mesure où il obligera les soumissionnaires à envisager, en amont, la possibilité de s’appuyer sur les compétences des opérateurs économiques locaux, permettant ainsi à ces derniers de négocier leur part du gâteau. En effet, lorsque le sous-traitant est proposé après la signature du marché, il est plus facile pour le titulaire de lui imposer ses propres conditions. Pour autant, la majorité des soumissionnaires étant bien souvent, eux-mêmes des PME ou TPE, ils pourront s’exonérer du recours à la sous-traitance. C’est donc le serpent qui se mord la queue.

Ce décret a pourtant vocation, comme la députée PS de La Réunion Ericka Bareigts, ex-ministre des Outre-mer ayant porté la loi Égalité réelle Outre-mer l’explique, à permettre : « aux petites et moyennes entreprises locales (TPE-PME) de participer au chantier, d'en récolter les fruits et ainsi d'embaucher sur place ». Il faudra donc attendre cinq années pour tirer les conséquences et analyser l’impact réel de ce plan de sous-traitance sur la réappropriation, par les PME et TPE, des marchés publics de leurs territoires. Le décret impose en effet aux ministres chargés de l’économie et de l’outre-mer d’assurer un suivi et une évaluation de l’expérimentation. Un rapport conjoint devra par ailleurs être remis au premier ministre avant la fin de l’année 2022. Les acheteurs publics ultramarins ne sont pas en reste dans cette expérience et ont eux aussi un rôle à jouer dans la promotion de leur territoire, en permettant à la commande publique d’être un véritable levier économique.

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