En droit du sang, les marchés publics ne connaissent pas le droit du sol
Donner son sang n’est pas qu’un acte citoyen à l’échelle française : cela permet a minima à tous les pays membres de l’Union européenne de bénéficier d’une quasi-autosuffisance. Le juge de l’Union européenne vient de rappeler que les médicaments issus du sang donné sont des biens comme les autres, couverts par la libre circulation.
Les marchés publics d’achats de médicaments dérivés du sang doivent respecter le principe de liberté d’accès à la commande publique, comme tous les autres marchés. De ce principe découle l’exigence communautaire d’autoriser des dépôts d’offres de médicaments dérivés du sang provenant d’autres pays que celui dont est issu le marché.
Un hôpital slovène l’a appris à ses dépens en voyant le juge européen déclarer incompatible avec le droit de l’Union le cahier des charges permettant au seul candidat slovène de présenter une offre de médicaments. Le cadre juridique slovène étant dérivé de celui fixé par les directives européennes en la matière, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne est applicable également en droit français.
Comme dans tous les hôpitaux de l’Union européenne, un hôpital slovène avait engagé une procédure de passation de marché public portant sur l’acquisition de deux types de médicaments issus de plasma humain. Le cahier des charges techniques du marché précisait toutefois que les médicaments devaient avoir été fabriqués avec du « plasma slovène ». Par ailleurs, un autre marché pour des médicaments tirés de plasma d’autres pays de l’Union européenne devait être lancé : les médicaments tirés du seul plasma slovène ne couvrent en effet pas les besoins du pays.
Contesté pour ne pas ouvrir à la concurrence l’ensemble du marché, l’hôpital fonde sa décision sur la loi slovène. Elle dispose notamment que « l’approvisionnement prioritaire en médicaments produits industriellement à partir de plasma slovène […] est un principe sur la base duquel l’approvisionnement en médicaments provenant de l’Union européenne [produits] à partir de plasma étranger se fait en vertu d’une autorisation de mise sur le marché si les médicaments tirés de plasma slovène ne couvrent pas l’ensemble des besoins en République de Slovénie en ce qui concerne ces médicaments ». Par voie de conséquence, un seul opérateur économique, l’office de médecine transfusionnelle de la République de Slovénie, avait le droit de candidater au marché. Seul cet organisme public a le droit de faire produire et de distribuer les médicaments tirés du plasma, à un prix équivalent aux coûts liés à leur production.
En s’appuyant sur les dispositions des articles 2 (principes fondamentaux de la commande publique) et 23 (sur les spécifications techniques), le juge communautaire relève que « l’exigence d’origine nationale est intrinsèquement discriminatoire ». D’une part, il rappelle que même en matière de dons de sang, de politique de santé, de gestion de services de santé et de soins médicaux, les États membres doivent respecter le principe de libre circulation des marchandises. D’autre part, s’il est permis d’utiliser des critères techniques très précis, comme des labels par exemple, cela n’est conforme au droit de l’Union que dans le cas où des équivalents sont acceptés par le pouvoir adjudicateur.
Les pouvoirs adjudicateurs sont-ils pour autant dans l’obligation d’ouvrir leurs marchés de médicaments produits à partir de sang à tous les opérateurs économiques ? La Cour écarte un tel libéralisme en reconnaissant que de tels médicaments font l’objet de deux particularités notables. La première porte sur l’impératif de santé publique, qui se traduit notamment par le fait d’encourager les dons de sang volontaires et non rémunérés. La seconde porte sur l’objectif communautaire d’autosuffisance de l’Europe en médicaments de ce type, ce qui peut être compris comme une autosuffisance nationale. En cela, la législation slovène poursuit bien un objectif de santé publique.
En revanche soulève le juge, les stipulations du cahier des charges techniques restreignant la concurrence européenne ne participent pas de l’objectif de don gratuit et volontaire de sang. En effet, des produits provenant eux aussi de dons volontaires et gratuits peuvent être offerts dans le cadre d’une procédure concurrentielle ouverte sur l’Europe. De plus, cette discrimination n’a pas été instaurée pour préserver un niveau de prix poursuivant un but de santé publique, comme cela pourrait l’être en cas de pénurie mondiale de médicaments de ce type.
Le régime de production et de commercialisation de médicaments dérivés du plasma en France est sensiblement similaire aux règles slovènes. Les acheteurs hospitaliers seront ainsi avisés d’indiquer, s’ils recourent au « Label éthique » par exemple, que sont également recevables les offres équivalentes. Les fournisseurs européens devront dès lors se soumettre aux règles françaises de ce type de production, prévues au Code de la santé publique.
Sources :
- CJUE, 8 juin 2017, n° C‑296/15
- CSP, art. L. 1221-3 à L. 1221-7 et L. 5121-11