Labels : marquer la qualité de l’achat dans le marbre

Par Pablo Hurlin-Sanchez

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En quelques années, le cœur de l’achat public s’est musclé : il ne s’agit pas tant d’acheter à moindre coût que d’acheter les prestations les plus économiquement avantageuses. Les règles issues de la directive du 23 février 2014 ont renforcé cette inclination. De l’article 6 de l’ancien Code des marchés publics, qui prévoyait l’utilisation d’écolabels dans les spécifications techniques, les règles ont évolué vers une reconnaissance bien plus large de l’utilisation des labels, puisqu’ils peuvent désormais y recourir pour des spécifications « d’ordre environnemental, social ou autre », selon les termes de l’article 10 du décret du 25 mars 2016.

Dans le même temps, depuis 2010, des labels d’acheteurs se développent pour inciter entreprises et administrations à adopter des pratiques d’achats responsables vis-à-vis de leurs fournisseurs. L’horizon d’une telle démarche est d’accentuer, mais aussi de stimuler, la confiance des fournisseurs envers les acheteurs. Soft law, les labels sont utilisables dans les administrations, mais restent encore non appliqués dans les services achats.

 

La prise en compte des labels dans les phases de définition du besoin, de sélection des offres et d’exécution est facilitée par une lisibilité accrue des dispositions les régissant, sans céder sur l’interdiction d’une restriction de la concurrence (I). L’exigence des acheteurs en matière de labels se retournera peut-être vers eux bientôt, avec l’émergence depuis quelques années du label s’appliquant aux relations avec les fournisseurs, sans qu’il soit toutefois obligatoire (II).

 

I. Utiliser des labels dans la consultation et non les imposer

Pour des travaux, des fournitures ou des services, le besoin n’est jamais tout à fait le même : les évolutions des produits et des prestations imposent, en principe, qu’il soit réfléchi continuellement au besoin qui sera formalisé, aux critères de sélection et au contrôle de l’exécution du marché.Si des cahiers des charges administratifs généraux types ont été arrêtés, la construction de cahiers des charges administratifs et techniques particuliers lors de chaque consultation est complexe et coûteuse. Pour y faire face, sans entrer dans des détails techniques que ne maîtriserait pas l’acheteur, il lui est loisible d’utiliser la référence à un label, en ouvrant la possibilité aux candidats de présenter des prestations équivalentes.Un label ne peut être utilisé dans le champ des marchés publics que sous certaines conditions. D’une part, l’article 10 du décret du 25 mars 2016 limite le champ d’utilisation de labels aux seuls critères qui sont liés à l’objet du marché public ou à ses conditions d’exécution. D’autre part, un label ne peut être utilisé qu’à définir les caractéristiques des travaux, fournitures ou services qui font l’objet du marché public, en imposant que les critères demeurent objectivement vérifiables et non-discriminatoires.Cet objectif de liberté d’accès à la commande publique se retrouve dans l’obligation faite aux acheteurs d’utiliser des labels établis par une procédure ouverte et transparente. Le but était le même dans l’article 6 du Code des marchés publics à propos des écolabels, mais les règles étaient toutefois plus strictes. En effet, sous son empire, le label utilisé devait avoir été conçu avec la participation de représentants des organismes gouvernementaux, des consommateurs, des fabricants, des distributeurs et des organisations de protection de l’environnement. En imposant que la procédure soit ouverte et transparente, les obligations se distendent : les enquêtes publiques, comme les mènent notamment les grands organismes de normalisation pour chaque norme, sont par exemple un des indicateurs qui permettent de savoir si une norme est utilisable. A en revanche disparu l’obligation faite aux écolabels d’être conçus sur le fondement d’informations scientifiques.Corollaire à l’ouverture et à la transparence, le label et ses spécifications détaillées doivent être accessibles à toute personne intéressée. Tout comme le recours à un label sans avoir ne serait-ce que lu les stipulations qu’il contient n’est pas envisageable pour l’acheteur, les éventuels candidats doivent avoir la possibilité de saisir ce que l’on attend d’eux. Dans le silence des textes, il est envisageable soit d’inclure la norme directement dans une annexe du cahier des charges soit d’y faire référence en incluant un lien permanent vers le site web où les spécifications sont détaillées.Dernière des nouvelles obligations : l’indépendance de l’organisme délivrant le label. Ou, du moins, est-il indispensable que l’acheteur n’exerce pas une influence décisive sur l’organisme de labellisation. Il est donc possible, dans le cas d’un achat très particulier, de faire élaborer un nouveau label entre plusieurs entités adjudicatrices en confiant cette tâche à un organisme extérieur, à la condition que celui-ci soit toutefois laissé libre d’établir un consensus entre les acheteurs.Le recours à un label pour sélectionner les offres ne doit pas restreindre l’accès au marché aux candidats n’ayant pas été labellisés ou n’ayant pas le même label que celui demandé. Ainsi, l’acheteur doit accepter tous les labels équivalents, mais aussi accepter les opérateurs économiques qui n’ont manifestement pas eu la possibilité d’obtenir le label particulier spécifié par l’acheteur ou un label équivalent dans les délais fixés pour des raisons qui ne lui sont pas imputables. Dans ce dernier cas, l’acheteur accepte d’autres moyens de preuve de la conformité de la prestation au label tels que, selon le décret, « un dossier technique du fabricant, pour autant que l’opérateur économique concerné établisse que les travaux, fournitures ou services qu’il doit fournir satisfont aux exigences concernant le label particulier ou aux exigences particulières indiquées par l’acheteur. »Imposer aux candidats de présenter des offres labellisées ou équivalentes permet sans doute d’hausser la qualité des offres reçues. La labellisation permet également d’inscrire l’achat dans une démarche vertueuse lorsque l’acheteur lui-même devient labellisé. 

II. Se labelliser soi-même ?

En 2010 était lancé sous l’égide de la Médiation des entreprises et le Conseil national des achats le label « Relations fournisseurs responsable ». En février 2017, la norme ISO20400 fixant les lignes directrices pour intégrer la responsabilité sociétale dans leur processus achats a été adoptée par l’Organisation internationale de normalisation (ISO).Le développement de normes souples et de labels dans ce domaine répond à la volonté de grandes entreprises et d’administrations en particulier de s’inscrire dans une relation de confiance, ou « gagnant-gagnant » avec ses fournisseurs. Le label relation fournisseurs responsables, remis par les pouvoirs publics, est ainsi fondé sur quatre critères d’évaluation, que les sous-critères rendent plus parlant.Le premier est le respect des fournisseurs et des sous-traitants, qui recouvre l’équité financière (paiement dans le délai imparti, absence d’escomptes forcés, etc.), la promotion de relations durables et équilibrés (absence de clauses léonines, respect de la propriété intellectuelle, etc.), l’égalité de traitement entre fournisseur et sous-traitant et la prévention de la corruption. Eu égard aux règles posées par la loi aux acheteurs publics, ce premier critère semble facilement respectable.Le deuxième critère repose sur la prise en compte des impacts de l’achat sur la compétitivité économique. Il s’agit pour l’acheteur de développer une gestion prévisionnelle des achats ou encore de prendre en compte les crises de secteurs pour accompagner ses partenaires en vue de consolider les filières et favoriser un développement international. Cet accompagnement ne doit pas se faire au détriment d’une appréciation du « coût total de l’achat », notion très proche de celle de la sélection de « l’offre économiquement la plus avantageuse ».L’intégration de facteurs sociétaux et environnementaux dans le processus d’achat est le troisième critère à respecter pour être labellisé. La prise en compte du développement durable s’opère par trois sous-critères : l’intégration dans les processus d’achat des performances environnementales des fournisseurs et sous-traitants ; la contribution au développement du territoire ; l’intégration dans les processus d’achat des performances sociales des fournisseurs.Le dernier critère porte sur la professionnalisation de la fonction achat, notamment en recourant à la formation des acheteurs et à une politique de rémunération cohérente (part variable, etc.), tout en formalisant une politique d’achat (développement des relations prescripteurs-fournisseurs) et de la médiation en cas de litiges.La norme ISO20400, dont l’élaboration avait été initiée par la France, verra le label « relation fournisseurs responsable » converger vers sa propre rédaction. Lorsque cette convergence entre les deux normes sera achevée, être titulaire du label permettra de le valoriser également à l’étranger : les collectivités passant des marchés au-delà des seuils européens pourront faire reconnaître la qualité de leur service achat pour mobiliser la concurrence et ainsi atteindre de nouveaux niveaux de qualité de ses achats !Sources :