Régularisation des offres en procédure négociée : la modification des caractéristiques substantielles de l’offre s’apprécie en fonction du lot technique
Par une ordonnance en date du 24 août 2017, le tribunal administratif de Toulon a, au sein d’une décision pionnière en la matière, précisé le champ d’application de l’article 59-IV du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics qui dispose que « la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres ».
Pour rappel, une offre irrégulière doit être définie comme « une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale » selon l’article 59-I du décret susmentionné.
En application de ce corpus textuel, le tribunal administratif de Toulon a affirmé, d’une part, que l’article 59.IV précité s’applique indépendamment de la procédure choisie, c’est-à-dire également dans le cas d’une procédure négociée ou d’un dialogue compétitif et, d’autre part, que la notion de modification des caractéristiques substantielles qui circonscrit les possibilités de régularisation des offres doit s’apprécier poste par poste et non eu égard à l’économie globale du contrat.
Pour mémoire, le groupement de commandes composé de la commune de Roquebrune-sur-Argens et de la commune de Fréjus agissant en qualité de coordinateur a lancé une procédure de passation, sous la forme d’un dialogue compétitif, d’un marché public global de performance ayant pour objet la « conception-réalisation-exploitation-maintenance pour l’amélioration et la gestion des installations électriques extérieures », pour lequel la société Bouygues Energies & Services a participé.
Informée du rejet de son offre, motif pris que son offre initiale ne prévoyait pas la fourniture des motifs pour les illuminations festives et temporaires et que son offre régularisée modifiait les caractéristiques substantielles de son offre initiale en méconnaissance de l’article 59 précité, la société Bouygues Energies & Services a saisi le juge des référés précontractuels en arguant principalement :
- qu’il est toujours possible de déposer une nouvelle offre dans le cadre d’une procédure négociée ou d’un dialogue compétitif ; qu’ainsi, l’article 59-IV ne pouvait trouver à s’appliquer ;
- qu’en tout état de cause, la notion de modification substantielle doit s’apprécier eu égard à l’économie générale du contrat ; qu’ainsi, en l’espèce, aucune modification substantielle de l’offre n’a été réalisée, la différence des montants totaux entre l’offre initiale et l’offre régularisée étant mineure.
Saisi de ce litige, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a, après avoir constaté que l’article 59-IV s’appliquait également aux procédures négociées, choisi de prendre en compte la valeur du lot technique et non celle du contrat dans son ensemble comme référentiel afin d’apprécier la notion de modification des caractéristiques substantielles.
Or, en l’espèce, au vu du référentiel choisi, l’évolution est environ de + 440 %, le chiffrage du poste en question passant de 520.603 euros à 2.289.166,90 euros. Malgré cette augmentation conséquente, la négociation de l’ensemble des prix a permis d’aboutir à une augmentation limitée à hauteur de 9 % du coût global.
Il est ainsi aisément perceptible que, dans cette espèce, le choix du référentiel impacte directement la solution juridique :
- en adoptant un référentiel relatif au coût total, il convient de subodorer que le juge administratif aurait pu considérer que l’offre eut été modifiée dans les limites autorisées par l’article 59.IV précité, c’est-à-dire, de manière non substantielle ;
- en adoptant un référentiel relatif au lot technique, le juge administratif se doit, dans cette espèce et ainsi que la présente ordonnance commentée le démontre, de constater la substantialité d’une telle modification des caractéristiques de l’offre et, par voie de conséquence, son irrégularité.
En conséquence du choix de référentiel relatif au lot technique, le juge administratif affirme ainsi que : « nonobstant l’écart modeste du coût global entre les offres initiale et définitive déposées par la candidate, qui résulte d’une négociation d’ensemble des prix, la régularisation opérée par la société Bouygues Energies & Services doit être regardée comme modifiant les caractéristiques substantielles de son offre initiale ».
Sources :
- TA Toulon, 24 août 2017, n° 1702533, Société Bouygues Energies & Services
- D. n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 59-IV