Matériaux sur les travaux, comment bien appliquer les règles ?
Les matériaux sont indissociables des marchés publics, en particulier des marchés de travaux. Composantes de l’ouvrage achevé, ils sont la source de nombreuses interrogations et solutions, dans toutes les phases d’un marché. Si le cahier des clauses administratives et générales applicable aux marchés de travaux assure un régime assez stable (I), les matériaux font parfois l’objet de questions exceptionnelles, qu’il est dangereux d’occulter (II).
I. Le CCAG Travaux, guide du droit des matériaux
Les matériaux ne semblent utiles qu’au stade de l’exécution du marché, mais leur importance est cruciale lors de la sélection des offres et des candidatures. À cet égard, le texte réglementaire fixant les règles à respecter lors de cette étape est assez précis, tant en matière de quantité, de qualité ou de prix des matériaux dans la situation de principe : le titulaire est propriétaire (et donc responsable) des matériaux sur le chantier.Le prix des matériaux est régi par l’article 10.2 du CCAG Travaux. Si le prix du marché est forfaitaire, le pouvoir adjudicateur n’a pas à se soucier du prix : le titulaire fera tout au contraire pour utiliser des matériaux dont le prix préserve sa marge. Si le prix du marché est unitaire en revanche, le CCAG impose un sous-détail des prix unitaires évaluatif, permettant au maître de l’ouvrage d’être averti sur le montant final du marché, et notamment le prix des matériaux utilisés. Ne pas se conformer à cette obligation fonde le blocage du paiement du premier acompte.La qualité des matériaux, gage (en partie) de la qualité finale de l’ouvrage (voir par exemple CE, 1er juill. 2005, Commune de Saint-Denis-en-Val, no 267691), est régie par les articles 23 à 24 du CCAG Travaux, qui encouragent le pouvoir adjudicateur à imposer des normes accréditées en NF EN ISO/CEI 17025 et NF EN 45011 aux titulaires dès la phase de sélection des offres. Le pouvoir adjudicateur peut également imposer que les matériaux proviennent d’une source particulière (une mine ou une carrière dont il est propriétaire ou dont il souhaite les matériaux en particulier par exemple). Soumises aux principes fondamentaux de la commande publique, notamment la liberté d’accès et l’égalité de traitement, les normes utilisées doivent avoir des équivalents dans d’autres pays. Ces restrictions peuvent faire l’objet de dérogations écrites du pouvoir adjudicateur, y compris pendant l’exécution du marché.La provenance des matériaux entre dans la même problématique. Le principe, posé par l'article 6 du Code des marchés publics, interdit des spécifications de provenance ayant pour effet de limiter l'accès des marchés aux candidats. Ce même article permet de déroger à cette exception lorsque l'objet du marché le requiert : le pouvoir adjudicateur peut spécifier que les matériaux peuvent être d'une marque ou d'une provenance précises ou équivalentes. L'article 21.2 du CCAG Travaux impose en surplus que le titulaire ne peut déroger à cette spécification précise (et exceptionnelle) qu'avec l'accord du pouvoir adjudicateur.Ces exceptions posent deux problèmes. Le premier est rapidement écarté : imposer la provenance de matériaux ne limite pas le nombre de candidats puisque rien ne les empêche de s'approvisionner à l'endroit spécifié par le pouvoir adjudicateur (un entrepreneur de l'Oise peut acheter du marbre de Carrare) et le pouvoir adjudicateur peut imposer que le candidat bénéficie de certaines autorisations administratives (CE, 7 nov. 2014, Syndicat Valor'Aisne, n° 384014) ; la dérogation aux spécifications en cours de marché est plus compliquée, car elle peut s'apparenter à une négociation hors procédure. Elle nécessite d'être très encadrée pour éviter un recours contractuel qui aboutirait à la mise en cause de la responsabilité de la personne publique, d'autant plus que ce recours est largement ouvert aux tiers désormairs (CE, 4 avr. 2014, Département du Tarn-et-Garonne).La qualité des matériaux peut faire l’objet de tests par le maître d’œuvre, soit tel que cela est précisé dans le marché ou les normes, sinon, selon les propositions écrites du titulaire acceptées par le maître d’œuvre. La conservation des matériaux doit aussi permettre d’en préserver les qualités, comme en dispose l’article 26 du CCAG Travaux qui impose au titulaire de construire ou d’utiliser des magasins pour leur conservation.La quantité des matériaux engagés sur le marché est définie contradictoirement. Si la plupart des livraisons font l’objet d’une certification, une vérification contradictoire peut toujours avoir lieu selon l’article 25 du CCAG Travaux ; cet article institue un régime très favorable au pouvoir adjudicateur puisque tout préjudice subi par celui-ci engage la responsabilité du titulaire (freinte, surcharge lors du transport…).Ces règles s’inversent, comme le prévoit l’article 26 du CCAG, pour les matériaux dont le pouvoir adjudicateur est le propriétaire. La charge du contrôle de la qualité et de la quantité pèse à cet égard sur le titulaire.Le titulaire assure dans tous les cas la conservation, la traçabilité et l’enlèvement des matériaux sur le chantier.
II. Forme du marché et faillite du titulaire : des exceptions au régime des matériaux
Si la gestion des matériaux offre heureusement peu de surprises, la nature de ceux-ci ou les mésaventures économiques du titulaire en font partie.Les matériaux demandés par le pouvoir adjudicateur peuvent être innovants, ne pas exister au moment du lancement de la procédure ou encore être très difficiles d’utilisation. De telles spécifications peuvent fonder l’utilisation d’une procédure dérogatoire soit parmi les marchés publics, soit en dehors.Face à un besoin en matériaux spéciaux, un pouvoir adjudicateur pourra lancer un partenariat d’innovation, selon la procédure prévue à l’article 70-1 du Code des marchés publics ou un marché de conception-réalisation selon l’article 69 du code. De la même manière, l’utilisation de certains matériaux, parmi d’autres critères d’appréciation, peut fonder le recours à un contrat de partenariat ; par un arrêt du 3 avril 2014, la cour administrative d’appel de Paris a reconnu la validité du contrat de partenariat conclu en vue de la construction du futur palais de justice de Paris car « certaines des réponses [aux difficultés du pouvoir adjudicateur notamment], le choix des matériaux de façade et des matériaux permettant l'isolation acoustique de la salle des pas perdus et de certaines salles d'audience, n'ont pu être apportées qu'après discussions, au cours de la procédure, entre les services de l'État, l'architecte et les entreprises chargées de la construction et de la maintenance de l'immeuble ».Utiliser des matériaux innovants ou encore inconnus comporte toutefois des risques qu’il convient de circonscrire : l’utilisation des normes et une définition très nette dans le cahier des clauses techniques particulières le permettent.Certains dangers ne peuvent toutefois pas être évités, car extérieurs à l’exécution du marché. La faillite et la liquidation du titulaire en fait partie. Outre les problèmes de remplacement du titulaire, se pose la question à la fois de l’usage des matériaux laissés sur le chantier et du paiement de ceux-ci.Les matériaux laissés sur place sont en principe la propriété du titulaire (l’exception étant les matériaux apportés par le pouvoir adjudicateur). En cas de disparition de celui-ci, le maître de l’ouvrage a le droit de racheter les matériaux présents sur le chantier dans la limite de ses besoins. Le CCAG Travaux précise que « le prix de rachat des ouvrages provisoires et du matériel est égal à la partie non amortie de leur valeur ».Pour être effectué en sécurité, ce rachat ne doit être effectué que si le pouvoir adjudicateur s’est assuré de l’absence de tout privilège dit de « Pluviôse An II ». Tenant son nom de la date de son texte originel, ce privilège est désormais régi par l’article L. 3253-22 du Code du travail (ancien L. 143-6) qui dispose que « les sommes dues aux entrepreneurs de travaux publics ne peuvent être frappées de saisie ni d'opposition au préjudice soit des salariés, soit des fournisseurs créanciers à raison de fournitures de matériaux de toute nature servant à la construction des ouvrages. » Si le titulaire utilise des matériaux qu’il n’a pas réglés, sa faillite transfère directement sa dette au pouvoir adjudicateur.Une telle situation est problématique si les matériaux ont déjà été réglés par le pouvoir adjudicateur, car si le principe d’interdiction de l’enrichissement sans cause le protège, cela devra être réglé devant le juge judiciaire, seul compétent en la matière (voir par exemple Cass., 5 avr. 2005, no 02-19407), au terme d'une longue procédure.Bien que l'approvisionnement, la qualité, la quantité et le prix des matériaux utiles à des travaux publics soient régis précisément par le code et le CCAG, des risques contentieux lors de la passation comme lors de l'exécution existent. Les mécanismes des protections sont contradictoires à cet égard, et nécessitent une délicatesse certaine du pouvoir adjudicateur : suffisamment préciser ses besoins... tout en préservant une part de liberté aux candidats.Sources :