Pas d’exit pour la Lloyd’s !

Par Laurent Chomard

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Pour une fois, l’étude de la jurisprudence en matière de marchés publics a un parfum historique indéniable. Et pour cause, la Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre, le 8 février dernier, une décision préjudicielle sur la liberté d’accès à la commande publique que l’on peut baptiser « Lloyd’s of London » puisque rendue dans le cadre d’un litige opposant la Lloyd’s of London à l’Agence régionale de protection de l’environnement de Calabre (Agenzia Regionale per la Protezione dell'Ambiente della Calabria - ARPACAL). Parfum historique, car pour bien comprendre la situation, il convient effectivement de se pencher sur le particularisme de la Lloyd’s of London. Dans le milieu de l’assurance, plus exactement, de la réassurance, la Lloyd's n'est pas une société commerciale mais une bourse, une place financière gérée comme un club et acteur le plus puissant du monde de l’assurance et de l’assurance maritime, of course.

L’histoire du Lloyd’s est indissolublement liée à l’assurance maritime. L'histoire commence en 1688. Un certain Edward Lloyd ouvre un café en plein cœur du quartier des affaires de la City, non loin des docks de la Tamise. Les marchands et propriétaires de vaisseaux viennent à s’y rencontrer et de plus en plus, c’est au Lloyds coffee house qu’on y rencontre les assureurs les plus influents et les marchands les plus importants. En quelques années seulement, la Lloyds, jusqu’alors exclusivement maritime, se construira contrat après contrat pour devenir la référence. Une référence qu’elle ne perdra plus jamais. Aujourd’hui, ce club, conformément à la réglementation du Royaume-Uni, permet à ses membres, regroupés sous forme de syndicates, d’agir contractuellement mais représentés par un seul et même représentant dans chaque pays.

Dans l’affaire qui nous occupe, deux syndicats concurrents de la Lloyd’s ont présentés une offre dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la couverture du risque lié à la responsabilité civile de cette agence environnementale de Calabre envers les tiers et les ouvriers pour la période couvrant les années 2016 à 2018. Or, leurs offres étaient toutes deux signées par le mandataire spécial du représentant général du Lloyd’s pour l’Italie.

L’ARPACAL a exclu ces deux syndicats de la procédure au motif que les offres étaient objectivement imputables à un seul centre de décision, puisque signées par une seule et même personne, à savoir le mandataire spécial du représentant général du Lloyd’s pour l’Italie. Il en résulterait pour l’agence régionale de protection de l’environnement de Calabre une violation des principes du secret des offres, de la concurrence libre et loyale ainsi que de l’égalité de traitement des soumissionnaires.

Le tribunal administratif régional de Calabre, saisie pour la deuxième fois du litige entre l’ARPACAL et la Llyod’s pose cette fois-ci préalablement à la Cour de justice de l’Union la question préjudicielle suivante : « Les principes consacrés par les règles de l’Union en matière de concurrence et prévus par le [traité] FUE, ainsi que les principes qui en découlent, tels que l’autonomie et le secret des offres, font‑ils obstacle à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence, qui permet à plusieurs syndicats adhérents au Lloyd’s de participer simultanément à un même appel d’offres lancé par un pouvoir adjudicateur, lorsque leurs offres sont signées par une seule personne, le représentant général pour le pays ? »

La jurisprudence italienne permet en effet que les syndicats souscripteurs du Lloyd’s participent à un même appel d’offres, avec signature des offres par le représentant général du Lloyd’s pour l’Italie, au regard de la structure particulière du Lloyd’s qui, conformément à la réglementation du Royaume-Uni, opère dans les différents pays par l’intermédiaire d’un représentant général unique.

La Cour répond à la question préjudicielle en rappelant que les règles de l’Union en matière de passation des marchés publics ont été adoptées afin de réaliser un marché unique en assurant la libre circulation et en éliminant les restrictions à la concurrence et qu’il est donc dans l’intérêt du droit de l’Union que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres.

D’autant que la directive 2009/138 sur les activités d’assurance permet expressément au Lloyd’s d’être représenté à l’égard des tiers par un représentant général unique dans chaque État membre, y compris, selon la Cour, dans le cadre des marchés publics de services d’assurance. Elle en conclut que le seul fait que des offres aient été signées par la même personne, ne saurait justifier leur exclusion automatique du marché public en cause mais qu’il est possible de les exclure s’il apparaît, sur la base d’éléments incontestables, que leurs offres n’ont pas été formulées de manière indépendante.

L’ancien guide de la DAJ sur la passation des marchés publics d’assurance indiquait « qu’une seule offre peut être faite par une même société d’assurance et qu’un seul mandataire peut représenter cette société. » Attention, donc, la Llyod’s n’est pas une société d’assurance comme une autre. C’est une association de syndicats qui opèrent en autonomie et en concurrence les uns avec les autres, mais agissant au travers d’un représentant général unique par pays, car n’ayant pas de personnalité juridique autonome.

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