Comment contraindre son prestataire à exécuter ses obligations contractuelles?
Obliger une personne privée à exécuter des prestations qu’elle se refuse à exécuter : voilà une problématique que de nombreux acheteurs ont déjà dû rencontrer. Et parfois, les mécanismes traditionnels (pénalités, menace de résiliation…) ne suffisent plus. Dans certaines circonstances, le juge administratif peut alors se révéler être un précieux allié. C’est ce que rappelle le Conseil d’État, dans un arrêt récent du 25 juin 2018.
Cela n’est pas nouveau : une personne publique peut recourir au juge administratif pour lui demander de prendre à l’encontre de son cocontractant des mesures propres à le contraindre à exécuter ses obligations contractuelles lorsqu’elle ne dispose pas des moyens de le faire elle-même (CE, 13 juill. 1956, n° 37656, OPHLM du département de la Seine).
Plus précisément, il est possible pour la personne publique de le faire par la voie du référé dit « mesures utiles » de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative (CE, 1er mars 2012, n° 354628, Société assistance conseil informatique ; CE, 3 juill. 2013, n° 367760, Société Véolia Transport Valenciennes Transvilles).
Plus inédit est le cas d’espèce, où la personne publique, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (« ADEME »), ne fait pas face à des difficultés immédiates mais à une menace de son prestataire.
L’ADEME avait conclu un marché public portant sur la fourniture et la mise en œuvre d’une nouvelle application informatique de type progiciel de gestion budgétaire et comptable et de gestion des achats, destinée à devenir l’outil de gestion financière de l’établissement.
Lors de la première année d’exécution du marché, le titulaire a unilatéralement modifié la répartition des licences. Cette nouvelle répartition s’est immédiatement révélée inadaptée aux besoins réels des utilisateurs de l’ADEME, et le titulaire a dû ouvrir de nouveaux accès : le coût global de ces licences étant plus élevé que celui prévu par le contrat, le titulaire a réclamé à l’établissement le règlement du surcoût résultant de cette augmentation. Suite au refus opposé par l’ADEME, le titulaire l’a informé de son intention de supprimer des accès.
Face à cette menace, l’ADEME a demandé, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, à ce qu'il soit enjoint au titulaire du marché de maintenir jusqu'au terme normal ou anticipé du marché et, à tout le moins, jusqu'à ce que le juge du fond statue, le droit d'usage de l'ensemble des licences nécessaires pour répondre aux besoins des profils d'utilisateurs contractuels.
De manière classique, le Conseil d’État vérifie d’abord l’urgence qui pouvait ici interroger, dès lors que la menace du titulaire n’avait pas encore été mise à exécution. Le rapporteur public montre bien l’arbitrage à effectuer dans le cas présent : « Attendre que le service public soit effectivement perturbé pour obtenir des mesures propres à le rétablir revient à exiger qu’une partie du dommage soit déjà causée pour le prévenir. À l’inverse, il ne faudrait pas non plus que le juge des référés soit submergé de demandes tendant à anticiper d’éventuelles inexécutions contractuelles. L’appréciation de l’urgence est ici affaire de circonstances et elle sera constituée en présence d’une menace lorsque celle-ci apparaît suffisamment imminente. »
Or ici, l’urgence est bien caractérisée, puisque comme le précise le Conseil d’État, « dans la mesure où une part importante des agents de cette agence ont besoin d'accéder à ce progiciel pour exercer leurs missions quotidiennes, l'annonce par la société de sa décision de supprimer de façon indistincte et unilatérale, à très brève échéance, des droits d'accès ouverts aux utilisateurs de ce progiciel, est de nature à porter une atteinte immédiate au bon fonctionnement de l'ADEME ».
En ce qui concerne l’utilité de la mesure, celle-ci s’apprécie au regard des autres voies de droit dont dispose éventuellement le demandeur pour obtenir de son cocontractant l’exécution de ses obligations. Pourtant, ici, l’ADEME ne dispose d’aucune possibilité matérielle de maintenir des droits que maîtrise entièrement son cocontractant. Comme le note le rapporteur public, les pouvoirs à sa disposition sont inadaptés : « Les pouvoirs dont dispose la personne publique cocontractante dans la conduite du contrat sont soit trop faibles, soit trop forts, mais dans les deux cas impuissants à obliger son cocontractant à agir dans un sens déterminé dans le cadre de l’exécution du contrat : les pénalités, notamment de retard, sont seulement incitatives ; la résiliation unilatérale est une sanction trop puissante qui détruit l’outil qu’il s’agit au contraire de faire fonctionner. »
Utile, urgente, la mesure demandée ne se heurte également à aucune contestation sérieuse dès lors que la contestation en cause n’a aucune incidence sur le fait que le contrat doit être exécuté par le titulaire.
Le Conseil d’État ordonne donc au titulaire de maintenir l'ensemble des licences nécessaires pour répondre aux besoins des profils d'utilisateurs contractuels de l’ADEME jusqu'à ce que le juge saisi au fond se prononce.
Cette décision constitue donc un rappel important pour tous les acheteurs qui font face à des difficultés graves d’exécution ; et pour lesquels la palette initiale des mesures de coercition n’est pas suffisante, ou du moins est inadaptée pour assurer l’exécution des prestations objet du contrat.
Sources :
- CE, 25 juin 2018, n°418493, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
- CE, 3 juillet 2013, n° 367760, Société Véolia Transport Valenciennes Transvilles
- CE, 1er mars 2012, n° 354628, Société assistance conseil informatique
- CE, 13 juillet 1956, n°37656, OPHLM du département de la Seine
- CJA, art. L. 521-3