Quelles obligations pour l’acheteur lorsque des soumissionnaires liés déposent plusieurs offres ?
Saisie d'une question préjudicielle sur l’interprétation de l’ancienne directive 2004/18, la CJUE a précisé les obligations pesant sur l’acheteur lorsque les soumissionnaires, qui sont liés, déposent plusieurs offres pour un même marché.
Dans cette affaire, un centre de traitement de déchets lituanien avait lancé un marché de collecte de déchets urbains. Quatre opérateurs avaient déposé une offre. Deux d’entre eux étaient détenus respectivement à hauteur de 100 % et 98 % par une même société mère, et leurs organes d’administration étaient composés des mêmes personnes physiques. Le marché ayant été attribué à l'une de ces filiales, un candidat évincé en a contesté la procédure de passation.
Se dessinait bien évidemment, en creux, une problématique de pratique anticoncurrentielle, et notamment d’entente, même si le débat a été placé en des termes un peu différents par le candidat évincé : celui-ci invoquait une violation des principes d’égalité de traitement et de transparence, faisant valoir que les deux filiales avaient agi « comme un groupe d’entreprises associées », et que leurs offres constituaient des variantes, interdites par les documents de la consultation.
Saisie du litige, la Cour suprême de Lituanie a demandé à la CJUE si des soumissionnaires liés, présentant des offres différentes dans le cadre d’un même marché, étaient tenus de déclarer leurs liens au pouvoir adjudicateur, même si la réglementation nationale ne prévoit pas une telle obligation et même si le pouvoir adjudicateur ne les interroge pas à ce sujet.
La Cour rappelle d’abord qu’aucune interdiction n’empêche des entreprises liées de candidater à une même procédure, et qu’une exclusion de ce type serait contraire à « une application efficace du droit de l’Union ». Elle relève ensuite que les principes d’égalité et de transparence impliquent que « les conditions de fond et de procédure concernant la participation à un marché soient clairement définies au préalable et rendues publiques », afin que les soumissionnaires « puissent connaître exactement les contraintes de la procédure ». Elle en conclut que le fait d’imposer aux soumissionnaires de déclarer volontairement leurs liens entre eux, alors qu’aucune obligation de la sorte ne figure dans la réglementation nationale, contreviendrait à l’exigence d’une « condition clairement définie ».
Après avoir déchargé les soumissionnaires de toute obligation de déclaration spontanée, restait à trancher la question d’une éventuelle obligation de « détection », par l’acheteur, du caractère non autonome des offres.
Rappelant que le pouvoir adjudicateur se voit attribué un « rôle actif » dans l’application des principes de passation des marchés, la Cour se place sur le terrain du conflit d’intérêts pour juger qu’« un pouvoir adjudicateur qui prend connaissance d’éléments objectifs mettant en doute le caractère autonome et indépendant d’une offre, est tenu d’examiner toutes les circonstances pertinentes ayant conduit à la présentation de l’offre concernée afin de prévenir, de détecter les éléments susceptibles d’entacher la procédure d’adjudication et d’y remédier, y compris, le cas échéant, en demandant aux parties de fournir certaines informations et éléments de preuve ».
Pour prouver le caractère non autonome et non indépendant de plusieurs offres, il peut être recouru à des « preuves directes », mais aussi à des « indices, pourvu que ceux-ci soient objectifs et concordants ».
Le pouvoir adjudicateur pourra ainsi ne pas prendre en compte des offres dont le contenu a été influencé par les liens existant entre les soumissionnaires qui les ont déposées. À l’inverse, « la seule constatation d’un rapport de contrôle entre les entreprises concernées, en raison de la propriété ou du nombre des droits de vote pouvant s’exercer lors des assemblées ordinaires, en suffit pas pour que le pouvoir adjudicateur puisse écarter automatiquement ces offres de la procédure d’attribution du marché, sans vérifier si un tel rapport a eu une incidence concrète sur l’indépendance desdites offres ».
Une obligation supplémentaire de vigilance et de détection s’impose donc à l’acheteur, pour prévenir tout risque de pratique d’offres concertées ou coordonnées.
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