Responsabilité extra contractuelle : utilité des dépenses, faute de l’administration et indemnisation de l’entrepreneur
Rendu sur renvoi après cassation, l'arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 16 février dernier applique les derniers enseignements de la jurisprudence du Conseil d'État sur les conditions et modalités dans lesquelles un entrepreneur peut obtenir une indemnisation sur un fondement extracontractuel.
Le présent litige opposait une société à une commune dans le règlement de prestations de fournitures de bureau, réalisées sans mise en œuvre préalable d’une procédure de mise en concurrence ni obtention d’une autorisation du conseil municipal.
Dans sa décision du 9 juin 2017, précédemment commentée, le Conseil d’État avait confirmé le premier arrêt de la cour, qui avait écarté la possibilité que le litige puisse être résolu sur un fondement contractuel compte tenu de la gravité du vice ayant affecté le consentement de la commune dans la conclusion du marché. Il avait en revanche censuré le raisonnement du juge d’appel, qui avait rejeté la demande d’indemnisation du titulaire, en précisant que :
- la faute commise par ce dernier est sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité ;
- l’utilité des dépenses dont la collectivité a profité ne s’apprécie pas à l’aune des prix stipulés au « contrat », quand bien même ces derniers seraient excessifs ;
- l'entrepreneur peut également, « sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ».
C’est dans ces conditions que la cour, ressaisie de l’affaire, rappelle que, sauf à ce que le contrat ait été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, la faute commise par la société au cas présent ne saurait exonérer la commune de toute obligation à son égard. Elle estime ensuite qu’au cas d’espèce il sera fait « une juste appréciation des dépenses utiles à la commune exposées par la société PAPD en les évaluant à la moitié du montant des factures émises par celle-ci ».
Pour apprécier, par ailleurs, le préjudice auquel la société peut prétendre en réparation de la faute commise par la commune en concluant le marché, la cour relève que le titulaire était également fautif dès lors qu’il ne pouvait ignorer qu’une procédure de mise en concurrence aurait due être engagée. Elle en déduit que la société peut être indemnisé de « la moitié de la perte des bénéfices qui peut être évaluée à la différence entre le montant des dépenses utiles et le montant total des factures ».
Cette solution s’inscrit dans le cadre plus général d’une série de décisions ayant récemment affiné le régime des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle.
Ainsi, l’arrêt du Conseil d’État du 6 octobre 2017 s’attardait, lorsque l’application du contrat est écartée, sur l’appréciation du caractère certain du préjudice subi par l’entrepreneur du fait de la faute commise par l’administration, et sur le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice. L’arrêt du 6 juillet 2017 de la cour administrative d’appel de Versailles offrait quant à lui une illustration de contrat conclu dans des conditions ayant vicié le consentement de l’administration, déniant ainsi à l’entrepreneur toute possibilité d’engager la responsabilité quasi-contractuelle de cette dernière.
Par ces apports successifs, tant les conditions de mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle que les modalités de l’indemnisation admise sur ce fondement s’en trouvent donc explicitées.
Sources :
- CAA Bordeaux, 16 février 2018, n° 17BX01882, Commune de Goyave
- CE, 9 juin 2017, n° 399581, Société Pointe-à-Pitre Distribution
- CE, 6 octobre 2017, n° 395268, Société Cegelec Perpignan
- CAA Versailles, 6 juillet 2017, n° 15VE02279, Société Grenke Location
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