Le « sourcing » des marchés publics !

Par Laurent Chomard

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La définition préalable des besoins est la clef de voûte de tout achat efficace. Le Code des marchés publics s’appuie sur cette étape essentielle de l’achat, mais qui, en son sein, reste un simple concept, pour légitimer les règles qui structurent l’achat public allant de la computation des seuils procéduraux à l’encadrement des avenants.
De nombreux acheteurs publics rencontrent des difficultés même dans cette définition préalable des besoins. Difficulté qui serait évitée, si comme dans le privé, l’acheteur public fait du sourcing sans peur du délit de favoritisme. Comme l’indique la dernière enquête réalisée chez les acheteurs publics par l’Ugap et la revue Décision Achat : « Si 70 % des sondés déclarent faire de la veille économique et technologique dans leurs secteurs d'achat, 30 à 50 % d'entre eux n'y passent... que 7 % de leur temps. Autre constat, cette veille n'est pas systématique dans près de 70 % des cas. »
En ces temps de contrainte budgétaire où l’achat public se doit d’être plus efficace et afin de promouvoir le sourcing, nous allons tout d’abord exposer en quoi il consiste plus précisement (I), puis présenter quel est l’état du droit en la matière (II). Enfin nous verrons comment le droit européen des marchés publics a décidé de consacrer cette pratique dans la nouvelle directive marchés publics, afin de l’encourager (III).

I. Qu’est-ce que le sourcing ?

Le sourcing est le terme anglais utilisé dans le milieu des acheteurs professionnels du secteur privé pour désigner l’action de veille sur les fournisseurs et produits susceptibles d’intéresser l’acheteur pour ses besoins d’achats. Il  consiste à acquérir une bonne connaissance du tissu économique et technique en amont d’une consultation afin d’affiner le cahier des charges qu’il sera amené à réaliser ou à contrôler lors d’une consultation

Il est réalisé grâce à la prise d'informations auprès des fournisseurs sur leur condition de ventes et les caractéristiques des produits proposés. Il permet ainsi de pallier à l’absence de spécialiste en interne. En outre, une bonne connaissance de l’état de la concurrence permet à l’acheteur de définir en conséquence sa stratégie d’achat et d’influer sur la procédure de passation à mettre en place ainsi que d’orienter ses obligations de publicité. La circulaire d’application du Code des marchés publics l’évoque en son point 4.1 sur la définition des besoins : « Pour être efficace, l'expression des besoins impose :- l'analyse des besoins fonctionnels des services sur la base, par exemple, d'états de consommation ;- la connaissance, aussi approfondie que possible, des marchés fournisseurs, qui peut s'appuyer, par exemple, sur la participation de l'acheteur à des salons professionnels ou sur de la documentation technique ».Le guide pratique de l’achat public innovant met également l’accent sur la connaissance de l'écosystème économique  comme préalable indispensable, en définissant expressément le sourcing, comme « la recherche et l’évaluation  d’opérateurs économiques innovants,et leur mise en relation avec des acheteurs » afin de repérer, dans un domaine donné, « des procédés émergents ou innovants. » Bien que conseillé par la direction des Affaires juridiques de Bercy, le sourcing n’est pas encore entré dans la culture des acheteurs publics tant règne la crainte du délit de favoritisme  renforcée  par l’absence de cadre juridique entourant celui-ci.

II. La timide prise en compte du sourcing par le droit des marchés publics

Le Conseil d’État a récemment consacré cette pratique professionnelle et définit les limites à ne pas dépasser. Par sa décision SMEAG du 14 novembre 2014, le Conseil d’État autorise la visite d’entreprise, de salons professionnels avec prises d’informations de la part de l’acheteur public dans la mesure où l’entreprise sollicitée dans la prise d’information n’a pas connaissance du cahier des charges du futur marché. En l'espèce, l'instruction a établi que si la société consultée proposait des services très proches de ce qui a été recherché par le pouvoir adjudicateur dans son appel d'offres, aucune faute de la personne publique n'était prouvée en la matière. Ce contrôle des faits par le juge du fond semble être délicat, puisque dans cette affaire, la cour administrative d'appel a été censurée par le Conseil d'État qui explique que « la cour s'est ainsi exclusivement fondée sur le comportement de la société, en faisant état de ses choix et risques commerciaux, sans relever d'éléments qui lui auraient permis d'imputer le comportement de la société à un agissement fautif de la personne publique ; que, ce faisant, elle a commis une erreur de droit ». 

Cet arrêt formalise pour le sourcing la même solution que celle qui prévaut pour des candidats ayant participé à la conception d’un projet.  Le Conseil d'État, dans son arrêt Garde des Sceaux/Société Genicorp, a considéré qu'un bureau d'étude ayant procédé à l'évaluation d'un projet d'ouvrage public peut se porter candidat au marché de maîtrise d'œuvre correspondant. Pour être légal, le passation doit conduire à ce que les informations recueillies par le titulaire lors du marché d’études ne l’avantagent pas pour l’attribution du nouveau marché. Le pouvoir adjudicateur doit seulement veiller à ce que l’ensemble des candidats potentiels disposent du même niveau d’information (voir aussi fiche de la DAJ sur le sujet).

III. La consécration du sourcing par la nouvelle directive marchés public

Cependant cette timide prise en compte du sourcing par le droit des marchés publics devrait prochainement franchir une étape décisive par l’instauration de dispositions spécifiques dans la future réglementation des marchés publics. En effet, la directive 2014/24 consacre deux articles au sourcing, qu’elle inclut dans le déroulement normal d’une procédure, puisque ces articles ressortent de la section I « Préparation » du chapitre III sur le « déroulement de la procédure ». L’article 40 intitulé « Consultations préalables du marché» indique qu' « avant d’entamer une procédure de passation de marché, les pouvoirs adjudicateurs peuvent réaliser des consultations du marché en vue de préparer la passation de marché et d’informer les opérateurs économiques de leurs projets et de leurs exigences en la matière. À cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent par exemple demander ou accepter les avis d’autorités ou d’experts indépendants ou d’acteurs du marché. Ces avis peuvent être utilisés pour la planification et le déroulement de la procédure de passation de marché, à condition que ces avis n’aient pas pour effet de fausser la concurrence et n’entraînent pas une violation des principes de non-discrimination et de transparence. »

On peut constater que la directive européenne va plus loin dans la sollicitation des opérateurs économiques que ce que prévoit le Conseil d’État dans sa décision du 14 novembre 2014. Elle permet, au-delà de la demande d’informations sur les produits et services, de demander des avis sur le cahier des charges en cours de constitution ou du moins sur l’expression du besoin par la collectivité, puisque les pouvoirs adjudicateurs peuvent « informer les opérateurs économiques de leurs projets et de leurs exigences en la matière » et « peuvent par exemple demander ou accepter les avis d’autorités ou d’experts indépendants ou d’acteurs du marché ».L’article 41 intitulé « Participation préalable de candidats ou de soumissionnaires » prévoit le dispositif chargé d’assurer l’égalité de traitement des  candidats dans ce contexte, afin que tous les candidats aient le même degré d’information, en stipulant que : « Lorsqu’un candidat ou soumissionnaire, ou une entreprise liée à un candidat ou à un soumissionnaire, a donné son avis au pouvoir adjudicateur, que ce soit ou non dans le cadre de l’article 40, ou a participé d’une autre façon à la préparation de la procédure de passation de marché, le pouvoir adjudicateur prend des mesures appropriées pour veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée par la participation de ce candidat ou soumissionnaire.Ces mesures sont décrites dans le reste de l’article et consistent à fournir les informations utiles qui ont été échangées lors de la consultation préalable aux autres candidats. En cas d’impossibilité concrète d’assurer par ce moyen l’égalité de traitement des candidats, le candidat ayant participé à la consultation préalable est exclu, après avoir été invité par le pouvoir adjudicateur à prouver que sa participation n’a pas faussée la mise en concurrence. Le pouvoir adjudicateur reste donc juge de décider de l’exclure ou non de la procédure. Si les grandes lignes sont ainsi posées, l’application concrète de ce dispositif ne manquera pas de soulever de nombreuses questions.    Sources :