Professions réglementées et marchés publics

Par Laurent Chomard

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Les professions réglementées font la « Une » : huissiers, notaires, greffiers des tribunaux de commerce, avocats ou professionnels de santé sont dans le collimateur du ministre de l’Économie. Pourtant, ce qui est vécu comme une attaque du Gouvernement par les intéressés n’est que la mise en œuvre des recommandations de Bruxelles, la France étant en retard dans le domaine de la libre circulation des prestations de services. Ainsi, une recommandation du Conseil du 29 mai 2013 sur « le programme national de réforme de la France pour 2013 » invite la France « à prendre des mesures pour renforcer la concurrence dans le secteur des services, à éliminer les restrictions injustifiées à l’accès aux services professionnels et à leur exercice, notamment en ce qui concerne la forme juridique, la structure d’actionnariat, les quotas et les restrictions territoriales ».

Cette actualité est l’occasion pour nous d’étudier succinctement comment les professions réglementées sont appréhendées par le droit des marchés publics. Tout d'abord, nous préciserons ce qui définit une profession réglementée (I), puis nous analyserons comment ces professions sont prises en compte par le droit des marchés publics (II) et enfin la règle procédurale spécifique concernant les prestations relevant d'un monopole (III).

I. Définition de la profession réglementée

Le  droit européen aborde la problématique des professions réglementées par sa directive 2005/36 du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, modifiée encore dernièrement par la directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013. L'article 3-1-a de la directive 2005/36 définit la profession réglementée comme « une activité ou un ensemble d'activités professionnelles dont l'accès, l'exercice ou une des modalités d'exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ».La Commission européenne a publié en mai 2014 une carte européenne des professions réglementées. Selon cette carte, la France s’illustre par 219 professions réglementées. À cette occasion, Michel Barnier, commissaire européen chargé du Marché intérieur et des Services, a déclaré : « La carte européenne des professions réglementées est un outil de transparence donnant un aperçu de la situation des professions réglementées dans les États membres et dans l’Union. Un examen attentif de cette carte nous renseigne sur la diversité des approches prises par les États membres pour protéger l’intérêt public à travers la réglementation de certaines professions. Ces approches répondent à des réalités, des sensibilités et des histoires réglementaires différentes mais elles sont également à l’origine de barrières à la libre circulation des professionnels qualifiés. La valeur ajoutée de cette carte est de nous permettre de se rendre compte visuellement de ces barrières et d’orienter nos efforts vers les secteurs et les professions où la modernisation de l’environnement législatif pourrait avoir le plus grand effet bénéfique ».

II. La prise en compte des professions réglementées par le droit des marchés publics

Les professions réglementées sont soumises au Code des marchés publics et donnent lieu à mise en concurrence. Plus spécifiquement, en vertu de l’article 30 de ce code, les professions juridiques comme les avocats, notaires et huissiers relèvent des marchés à procédure adaptée, quel que soit le montant du marché. Mais il est à noter que la nouvelle directive 2014/24/UE sur les marchés publics prévoit d’exclure de la soumission aux obligations de mise en concurrence ces mêmes services.La directive 2004/18 sur les marchés publics (comme la directive 2014/24/UE en son article 58, alinéa 2) aborde de façon expresse la problématique des professions réglementées en son article 46 « Habilitation à exercer l'activité professionnelle » et indique que « dans les procédures de passation des marchés publics de services, lorsque les candidats ou les soumissionnaires ont besoin d'une autorisation spécifique ou doivent être membres d'une organisation spécifique pour pouvoir fournir dans leur pays d'origine le service concerné, le pouvoir adjudicateur peut leur demander de prouver qu'ils possèdent cette autorisation ou qu'ils appartiennent à cette organisation. » Cette disposition est reprise mot pour mot par l’article 2 de l’arrêté du 28 août 2006 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs.Comme le formulaire officiel du JOUE comporte également une rubrique permettant d’indiquer que la prestation est réservée à une profession particulière (rubrique III 3.1 de l’avis de marché), il convient alors de mentionner dans cette même rubrique les références des dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables.Ainsi pour un architecte, on mentionnera l’article 3 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, qui réserve aux seules personnes physiques ou morales inscrites au tableau (architectes ou agréés en architecture et sociétés d’architecture) ou à son annexe (détenteurs de récépissés) la conception d’un projet architectural faisant l’objet d’une demande de permis de construire, quelle que soit la surface de l’opération envisagée.De même, pour les géomètres-experts, la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l'ordre des géomètres-experts, octroie un monopole aux géomètres-experts inscrits à l'ordre pour la réalisation des études et travaux topographiques fixant les limites des biens fonciers.

III. L’obligation de séparer par allotissement les prestations relevant d’un monopole de celles relevant du champ concurrentiel

Si les prestations, objet du marché, relèvent en partie d’un monopole, celles-ci doivent être distinguées des prestations concurrentielles. C’est ce qu’a jugé la Conseil d’État par son arrêt du 30 juin 2004 en considérant qu’un marché comportant des prestations réglementées et des prestations concurrentielles ont pour effet de provoquer une restriction artificielle de la liberté d’accès à la commande publique : « Considérant que, s'il est toujours loisible à l'administration d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, d'un niveau de qualification minimal, il appartient au juge administratif, saisi en application des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, de s'assurer que cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de limiter la concurrence en restreignant le nombre des fournisseurs possibles, est objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser ; que le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Limoges, qui a souverainement estimé que le souci de qualité et d'efficacité invoqué par l'administration ne suffisait pas à justifier l'exigence de détention du titre de géomètre-expert pour l'exécution de travaux ne rentrant pas, ainsi qu'il l'avait précédemment constaté, dans le champ défini par les dispositions précitées du 1° de l'article 1er de la loi du 7 mai 1946, n'a, dès lors, commis aucune erreur de droit en en déduisant que l'administration avait méconnu ses obligations de mise en concurrence en faisant figurer dans le règlement de la consultation une telle exigence ».

À noter que l'obligation d'allotissement de l'article 10 du Code des marchés publics de 2006 rend cette jurisprudence moins pertinente dans la mesure où l'identification de prestations distinctes doit aboutir de façon générale à un allotissement de la part du pouvoir adjudicateur. Dans ce contexte, la règle d'allotissement est d'autant plus renforcée donc, en présence de prestations relevant d'un monopole et de prestations relevant du champ concurrentiel.Sources :