Pas de préjudice sans preuve lorsque le montant minimum de commande n’est pas atteint

Par Laure Catel

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L’existence ou l’absence de minimum détermine l’étendue des obligations des parties et plus particulièrement celles du pouvoir adjudicateur. En effet, la DAJ de Bercy rappelle, dans sa fiche sur les accords-cadres (mise à jour le 9 août 2017), que le montant maximum est la limite supérieure des obligations à la charge du titulaire alors que, l’engagement de l’acheteur sur un montant minimum crée un droit à indemnisation au profit du titulaire unique, dans l’hypothèse où ce montant ne serait pas atteint. Pour autant, il incombe au titulaire d’apporter toutes les justifications nécessaires à la caractérisation du préjudice subi.

Principe que vient de rappeler la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 29 sept. 2017, n° 16PA01150). En l’espèce, la ville de Paris a conclu, avec un groupement momentané d’entreprises, un accord-cadre à bons de commande relatif à des travaux d’entretien. Le montant minimum était fixé à 1 430 000 € HT sur chacune des deux périodes de 24 mois (période initiale et reconduction). En pratique, sur chacune des deux périodes, le montant de l’accord-cadre n’a pas atteint le minimum.

Des négociations ont été menées pour définir le montant d’une indemnité transactionnelle. À la suite de l’échec de ces négociations, le titulaire – mandataire du groupement – a saisi le juge administratif afin de condamner le pouvoir adjudicateur à lui verser la somme de 571 664 41 € HT correspondant à la perte estimée de sa marge bénéficiaire, à la non couverture des frais fixes ou généraux, au coût de l’immobilisation de son personnel et au non amortissement des investissements.

Le juge de première instance a demandé à la société de lui fournir tous les documents comptables certifiés conformes, permettant d’établir le taux de marge nette réalisé habituellement sur les marchés de même nature et sur celui concerné, ainsi que les documents permettant d’établir la contribution respective de chacun des cotraitants. Cette dernière n’ayant fourni que des documents inexploitables, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’indemnisation. La société a donc interjeté appel.

Saisi en appel, la cour administrative de Paris rappelle d’abord le principe selon lequel le cotraitant est en droit de prétendre à la réparation du préjudice subi du fait du non-respect par l’administration de ses engagements contractuels. Elle précise ensuite, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 19 déc. 2012, n° 350341) que, si aucune stipulation contractuelle ne vient encadrer les modalités de calcul du montant du préjudice subi, doit alors être pris en compte la perte de marge bénéficiaire qu’aurait dégagée l’exécution du montant minimal de commandes prévu au marché. Solution reprise par le CCAG-FCS (arrêté du 19 janvier 2009) dans son article 38. Ainsi, lorsqu’au terme de l’exécution d’un marché à bons de commande le total des commandes du pouvoir adjudicateur n’a pas atteint le minimum fixé par le marché, en valeur ou en quantités, le titulaire a droit à une indemnité, égale à la marge bénéficiaire qu’il aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum. Le CCAG précise en outre, que le titulaire peut aussi être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n’aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées.

Avant de rejeter la requête du titulaire, le juge d’appel lui a donc prescrit, dans un certain délai, de lui fournir les éléments de preuve permettant d’établir le montant réel de son préjudice. La société ayant en effet évalué le préjudice subi par le groupement comme si elle avait été seule titulaire du marché. Passé ce délai, la société n’ayant pas fourni les éléments de preuve attendus, la cour a considéré que la société était réputée n’avoir subi, en réalité, aucun des préjudices allégués.

Comme Blaise Pascal l’a écrit dans ses Pensées, « on trouve toujours obscure la chose qu’on veut prouver et claire celle qu’on emploie à la preuve ». Pour autant, au cas particulier, le caractère inexploitable des éléments de preuve du préjudice subi a été pointé du doigt par le juge administratif qui, au contentieux, a pour mission de contrôler s'il n'existe pas une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et l'indemnisation du préjudice résultant pour le cocontractant des dépenses qu'il a réalisées et du gain qu'il a manqué (CAA Versailles, 7 mars 2006, Commune de Draveil c/ Société Via Net Works, n° 04VE01381).

Sources :

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