Lots, tranches, phases, reconduction : savoir découper son besoin !

Par Laurent Chomard

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Lots, tranches, marché à bons de commande, marché à phases, reconduction, les outils qui permettent de découper son marché sont nombreux.

Bien connaître ces formes de fractionnement du marché est important pour pouvoir correctement les utiliser, choisir le découpage des prestations approprié et éviter des montages contractuels inutilement complexes voire irréguliers. Nous allons tout d’abord étudier l’esprit et la lettre du code qui président au fractionnement du besoin avec l’allotissement (I), puis exposer les différentes formes de fractionnement du marché (II) et enfin évoquer les montages complexes à éviter (III).

I. Le lot : fractionnement du besoin et non regroupement artificiel de besoins

La question du regroupement artificiel de prestations ne répondant pas au même besoin dans une même consultation allotie est totalement ignorée par la doctrine, et pourtant cette pratique se développe à l’encontre de l’esprit du Code des marchés publics.L’allotissement, c'est-à-dire l’obligation de passer plusieurs marchés séparés pour un achat posée par l’article 10 du Code des marchés publics, n’a pas pour objectif de permettre des économies en termes de frais de publicité pour les avis d’appel public à la concurrence. L’obligation d’allotir a pour but de favoriser l’accès direct des PME et TPE à la commande publique. Comme le précise le guide des bonnes pratiques au point 7.1 : « L’allotissement est particulièrement approprié lorsque l’importance des travaux, fournitures ou services à  réaliser risque de dépasser les capacités techniques ou financières d’une seule entreprise. Il est  particulièrement favorable aux petites et moyennes entreprises. »Aussi, on ne peut, au titre d’une même consultation, avoir un lot portant sur la maîtrise d’œuvre, un lot sur le contrôle technique et un lot sur la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé. Une mise en concurrence simultanée pour trois besoins différents n’est pas de l’allotissement.Or la bonne compréhension de la notion d’allotissement nécessite de revenir sur ce qui éclaire la notion et ce qui constitue la pierre angulaire du Code des marchés publics : la définition préalable des besoins, édictée dès son article 5.Un marché répond à un besoin. L’article 10 indique : « Afin de susciter la plus large concurrence, et sauf si l'objet du marché ne permet pas l'identification de prestations distinctes, le pouvoir adjudicateur passe le marché en lots séparés dans les conditions prévues par le III de l'article 27 ».Les prestations distinctes devant donner lieu à des lots lors d’une consultation résultent d’une analyse du besoin, c'est-à-dire de « l’objet du marché ». Si celui-ci ne peut permettre l’identification des prestations distinctes, le marché ne peut être alloti.

II. Les différentes formes de fractionnement du marché 

Le fractionnement du marché peut prendre plusieurs formes. Comme l’indique le guide des bonnes pratiques en son point 7.2 : « L’acheteur public peut, lorsqu’il n’envisage pas de satisfaire en une seule fois l’ensemble de ses besoins, avoir recours à des formes de marchés spécifiques, tels que les marchés à tranches conditionnelles ou les marchés à bons de commande. Il peut également choisir de conclure des accords-cadres ».Nous rajoutons à cette liste le découpage en phases d’un marché, pratique professionnelle propre au cahier des clauses générales administratives applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) et le marché reconductible prévue à l’article 16 du code, autant d’outils distincts mais complémentaires aux formes convenues de marchés fractionnés.Les marchés fractionnés trouvent leur fondement dans l’incertitude affectant la définition préalable des besoins. Déjà dans une circulaire du 5 août 1993 relative aux marchés fractionnés, le ministère de l’Économie indique : « Fondement des marchés fractionnés : Dans certains cas, il est nécessaire de passer un marché alors que les besoins à satisfaire ne sont pas connus avec précision ou que, les besoins étant connus, les conditions économiques, techniques ou financières ne permettent pas à la personne publique de s'engager immédiatement sur la totalité du programme envisagé. Dans ces circonstances, la détermination complète des besoins ne peut s'effectuer dans les conditions exigées [du code] ».En ce qui concerne l’utilisation des marchés à bons de commande, la direction des Affaires juridiques, dans sa fiche sur le sujet, souligne que « le recours aux marchés à bons de commande n’est soumis à aucune condition particulière. La passation de ce type de marché est plus spécialement recommandée en cas d’incertitude sur le rythme ou l’étendue du besoin à satisfaire, mais cette circonstance ne saurait, en aucun cas, constituer une limitation de la liberté de choix du pouvoir adjudicateur. »En ce qui concerne l’utilisation des marchés à tranches, l’ancienne circulaire de 1993 sur les marchés fractionnés indiquait que « les marchés à tranches conditionnelles portent sur la totalité d’une opération qui, pour des raisons économiques, financières ou techniques, est fractionnée en tranches notifiées par décision de la personne responsable du marché. Les besoins sont définis pour chaque tranche, mais la mise en œuvre de la totalité du programme est incertaine ».Le recours à cette forme de marché ouvre la possibilité de commander des travaux de grande ampleur en ne disposant que des crédits nécessaires au financement de la tranche ferme.Le marché à tranches se distingue du marché à reconduction, prévu à l’article 16 du Code des marchés publics, puisque la reconduction permet au marché de se poursuivre. Le code de 2006 ne subordonne plus la passation d’un marché à tranches conditionnelles à l’impossibilité d’arrêter entièrement dans le marché le rythme ou l’étendue des besoins à satisfaire. En revanche, la prestation doit être déterminée dans son ensemble, et l’incertitude ne doit porter que sur l’affermissement de la ou des tranches conditionnelles. Chaque tranche doit constituer un ensemble fonctionnel.Les marchés à phases sont spécifiques aux marchés d’études, où des parties techniques sont distinguées dans le temps de manière successive, celles-ci pouvant donner lieu à un arrêt des prestations sans indemnité à la fin de chaque phase. L'article 20 du CCAG-PI précise que « lorsque les prestations sont scindées en plusieurs parties techniques à exécuter distinctement, le pouvoir adjudicateur peut décider, au terme de chacune de ces parties, soit de sa propre initiative, soit à la demande du titulaire, de ne pas poursuivre l’exécution des prestations, dès lors que les deux conditions suivantes sont remplies :

  • les documents particuliers du marché prévoient expressément cette possibilité ;
  • chacune de ces parties techniques est clairement identifiée et assortie d’un montant. La décision d’arrêter l’exécution des prestations ne donne lieu à aucune indemnité. […] ».

Les marchés à phases sont ainsi différents des marchés à tranches, où les prestations sont définies à l’article 72 du code comme non successives, mais présentant chacune un ensemble cohérent : « […] Les prestations de la tranche ferme doivent constituer un ensemble cohérent ; il en est de même des prestations de chaque tranche conditionnelle, compte tenu des prestations de toutes les tranches antérieures. L'exécution de chaque tranche conditionnelle est subordonnée à une décision du pouvoir adjudicateur […] ».La reconduction d’un marché permet quant à lui de prolonger l’exécution d’un marché, comme l’affirme le Conseil d'État dans son arrêt du 23 février 2005, Association pour la transparence et la moralité des marchés publics : « Lorsqu'elle [la collectivité] reconduit le marché, elle prend simplement la décision de poursuivre son exécution, qui ne fait pas naître […] un nouveau marché par application d'une clause de reconduction ». La reconduction et le marché initial constituent donc un seul et même marché, dont l'exécution est réalisée selon une périodicité prévue au marché, et selon la volonté de la personne publique. L'exécution des marchés reconductibles peut ainsi être rapprochée de celle des marchés à tranches.

III. Le fractionnement du marché : découper son marché pour simplifier et non pour complexifier

Chacune de ces formes de découpage du marché répond à une logique différente. Utiliser conjointement différentes formes de découpage n’est pas interdit par le Code des marchés publics.La circulaire sur les marchés fractionnés de 1993, indiquait sur ce point, ce qui reste vrai aujourd’hui, et ce pour toutes les combinaisons envisageables : « Le jumelage des tranches et des bons de commande au sein d’un même marché est déconseillé. L’utilisation conjointe de ces deux formes est toutefois possible lorsque la personne responsable du marché l’estime indispensable. Dans ce cas le marché doit respecter simultanément les règles régissant chacune de ces catégories. Ainsi, notamment, la période pendant laquelle il est possible de passer des bons de commande à l’intérieur de chaque tranche ne doit pas excéder la durée de validité des marchés à bons de commande ; cette durée part de la notification de la tranche considérée. »L’utilisation combinée du marché à tranches et à bons de commande a d’ailleurs été récemment validée par le Conseil d’État, dans sa décision du 11 mars 2013, Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI).Sans être en soi interdits, certains montages, tels les marchés à phases avec reconduction, nous semblent impossibles. En effet, les phases sont définies contractuellement et se succèdent, aussi prévoir une reconduction de phases déjà exécutées semble difficile.De même, un marché à phases et à bons de commande, dans la mesure où chaque phase constitue un ensemble de prestations pré-déterminées et que les bons de commande, conformément à l’article 77 du code, « [..]  sont des documents écrits adressés aux titulaires du marché. Ils précisent celles des prestations, décrites dans le marché, dont l'exécution est demandée et en déterminent la quantité. »Sources :