Quand y-a-t-il obligation de transmission du marché au contrôle de légalité ?
L’article 72 de la Constitution confie au représentant de l’État dans le département ou la région (préfet ou sous-préfet) le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. Pour ce faire, celles-ci ont l'obligation de transmettre au représentant de l'État leurs marchés avant de pouvoir les notifier aux titulaires. Mais toutes les personnes publiques locales sont-elles soumises à cette obligation? En regardant de plus près, les choses ne sont pas si simples.
Nous allons étudier quels sont les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’obligation de transmission de leurs marchés publics au contrôle de légalité, et surtout, en vertu de quel fondement juridique (I). Puis nous étudierons plus précisement quels sont exactement les marchés concernés par cette obligation (II). Ici encore, au-delà des apparences, des incertitudes demeurent, auxquelles il convient d’apporter un éclairage.
I. Les personnes publiques soumises à l’obligation de transmission
La commune est soumise au contrôle de légalité de ses marchés par le représentant de l’État. C’est une étape obligatoire pour que le marché soit exécutoire comme le prévoit l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui dispose que « les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'État dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement.« Cette transmission peut s'effectuer par voie électronique, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État.« Le maire certifie, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes.« La preuve de la réception des actes par le représentant de l'État dans le département ou son délégué dans l'arrondissement peut être apportée par tout moyen. L'accusé de réception, qui est immédiatement délivré, peut être utilisé à cet effet mais n'est pas une condition du caractère exécutoire des actes. »Les marchés font partie de ces actes soumis à la transmission en préfecture comme le mentionne l’alinéa 4 de l’article L. 2131-2 du CGCT : « Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants : [...] 4° Les conventions relatives aux emprunts, aux marchés et aux accords-cadres, à l'exception des conventions relatives à des marchés et à des accords-cadres d'un montant inférieur à un seuil défini par décret, ainsi que les conventions de concession ou d'affermage de services publics locaux et les contrats de partenariat ».Le département est soumis exactement aux mêmes règles par le jeu des articles L. 3131-1 et L. 3131-2 du CGCT ; la région, par celui des articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du même code.Les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes sont soumis aux mêmes obligations. Ainsi, l’article L. 5211-3 du CGCT prévoit que « les dispositions du chapitre premier du titre III du livre Ier de la deuxième partie relatives au contrôle de légalité et au caractère exécutoire des actes des communes sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale ». De même, l’article L. 5721-4 du CGCT indique que : « Les dispositions du titre III du livre Ier de la troisième partie relatives au contrôle de légalité et au caractère exécutoire des actes des autorités départementales sont applicables aux syndicats mixtes régis par le présent titre ».Les établissement publics sociaux et médico-sociaux sont soumis aux mêmes obligations, en vertu de l’article R. 314-69 du Code de l’action sociale et des familles : « Sans préjudice des délégations de signature consenties par application de l'article L. 315-17, le directeur est seul compétent pour passer les marchés de travaux, fournitures ou services pour l'établissement. Lorsqu'ils sont d'un montant égal ou supérieur au seuil mentionné au 4° de l'article L. 2131-2 du Code général des collectivités territoriales, ces marchés sont exécutoires de plein droit dès leur réception par le représentant de l'État dans le département ».Les offices publics de l'habitat (OPH) sont « des établissements publics locaux à caractère industriel et commercial » (CCH, art. L. 421-1, al. 1er). Ils peuvent être rattachés à une commune, à un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat, ou à un département (CCH, art. L. 421-6). Or, les actes pris par les établissements publics communaux ou départementaux suivent le même régime juridique que celui prévu pour la commune (CGCT, art. L. 2131-12) ou le département (CGCT, art. L. 3131-6).Enfin, les établissements publics locaux d’enseignements (EPLE) eux aussi, en vertu de l’article R. 421-54 du Code de l’éducation, sont soumis à l’obligation de transmission au contrôle de légalité.Seuls les établissements de santé ne sont plus soumis à l’obligation de transmission de leurs marchés au contrôle de légalité. En effet, la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a supprimé le contrôle de légalité pour les marchés publics passés par les établissements publics de santé.
II. Les marchés concernés par l'obligation de transmission
Les marchés exemptés de transmission sont ceux inférieurs au seuil défini à l’article D. 2131-5-1 du Code général des collectivités territoriales, c'est-à-dire 207 000 € HT. Il est à noter que ce seuil a été modifié dernièrement par l’article 6 du décret n° 2013-1259 du 27 décembre 2013 modifiant l’ensemble des seuils de la commande publique.Beaucoup de pouvoirs adjudicateurs croient que comme auparavant, les marchés soumis au contrôle de légalité sont ceux passés suite à une procédure formalisée. Or, bien que le seuil de 207 000 € HT corresponde à celui des procédures formalisées, cela n’est valable que pour les fournitures et services et non pour les travaux pour lesquels le seuil est de 5 186 000 € HT. De même, lorsque la collectivité agit en tant qu’en entité adjudicatrice (comme opérateur de réseaux), le seuil pour les procédures formalisées de fournitures et services est de 414 000 € HT, ce qui veut dire que même suite à une procédure adaptée, le marché doit être transmis au contrôle de légalité dès qu’il est supérieur ou égal à 207 000 € HT.Une autre incertitude agite le monde des acheteurs publics. Doit-on transmettre une opération de travaux dont l’ensemble des lots dépasse le seuil de 207 000 € HT alors même que chacun des lots ne le dépasse pas ? La direction des Affaires juridiques de Bercy ainsi que nombre de préfectures considèrent que le terme de marché employé par l’article L. 2131-2 du CGCT doit être compris au sens de consultation et non stricto sensu de « marché », à savoir que pour la même DAJ, un marché = un lot. C’est pourquoi le guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics adopté par une circulaire en date du 14 février 2012 expose que « lorsque plusieurs lots sont attribués à l'issue d'une même procédure et que le montant de l'ensemble de ces lots dépasse le seuil de 200 000 € (NDLR : 207 000 € aujourd'hui), tous les lots doivent être transmis afin que le contrôle de légalité puisse apprécier la computation des seuils et la régularité de la procédure ».Cependant cette consigne contra legem repose sur une acrobatie sémantique où le mot « marché » aurait une définition à géométrie variable. Une réponse ministérielle en date du 4 mai 2010 a le mérite de tenter de justifier cette consigne en exposant que « le terme "marché" dans le Code des marchés publics désigne effectivement tantôt le contrat, tantôt la procédure de passation ».En ce qui concerne le contrôle de légalité, sont soumises à l'obligation de transmission au préfet, en application de l'article L. 2131-2 (4°) du Code général des collectivités territoriales, applicable aux communes, « les conventions relatives [...] à des marchés et à des accords-cadres, à l'exception des conventions relatives à des marchés et à des accords-cadres d'un montant inférieur à un seuil défini par décret [...]. Il s'agit ici des marchés au sens de la procédure [...]. »Enfin, il est à noter qu’en ce qui concerne les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), les marchés concernés par l’obligation de transmission différent du droit commun puisque l’article R. 421-54 du Code de l’éducation prévoit que : « b) Aux marchés et aux conventions comportant des incidences financières, à l'exception des marchés passés selon une procédure adaptée en raison de leur montant conformément aux dispositions de l'article 28 du Code des marchés publics. Ces décisions sont exécutoires dès leur transmission. »Sources :
- Décret 2013-1259 du 27 décembre 2013 modifiant les seuils applicables aux marchés publics et autres contrats de la commande publique
- Circulaire de la préfecture des Deux-Sèvres du 16 avril 2013 relative aux relations avec les collectivités territoriales et contrôle de légalité
- Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics
- Question écrite n° 71562 (Assemblée nationale) – Réponse du 4 mai 2010