L’impact de la nouvelle directive « marchés publics » sur les modes de passation
Nous n’allons pas étudier ici la réduction de l’ensemble des délais de publicité prévue par la nouvelle directive, ni la nouvelle définition de la variante posée par la directive et qui englobe la notion d’option ou de prestations supplémentaires éventuelles (PSE), mais les modifications affectant la mécanique procédurale des modes de passation. Celles-ci ont pour principal objectif de permettre la discussion sur le cahier des charges avec les opérateurs économiques et de favoriser la négociation.
La prise de contact avec l’entreprise en cours de procédure d’attribution est souvent perçue, en soi, comme une compromission coupable introduisant le soupçon de corruption. Cette perception a été renforcée pendant longtemps par la prédominance de l’adjudication, puis de l’appel d’offres où tout échange avec l’entreprise candidate est proscrit. L’efficacité économique suppose de renouer le contact avec les entreprises lors de l’attribution des marchés publics.
Nous allons étudier comment la nouvelle directive, dans cette perspective d’efficacité, généralise la négociation (I), puis en quoi diffère la procédure concurrentielle avec négociation appelée à remplacer la procédure négociée de la directive 2004/18/CE (II) et enfin nous aborderons la nouvelle procédure introduite par la directive : le partenariat d’innovation (III).
I. La généralisation de la négociation dans les modes de passation
La nouvelle directive instaure une nouvelle procédure de passation, le partenariat d’innovation par son article 31, sorte de dialogue compétitif réservé aux achats innovants, modifie en profondeur la procédure négociée en la rapprochant fortement d’un dialogue compétitif tout en la renommant « procédure concurrentielle avec négociation » et enfin, modifie le dialogue compétitif en rajoutant la possibilité de négocier avec le soumissionnaire ayant remis la meilleure solution. Mais surtout, les conditions d’utilisation de ces procédures deviennent communes et moins restrictives que dans la directive 2004/18/CE. Actuellement, en vertu de la directive, la procédure négociée est restreinte à des cas bien précis définis limitativement à l’article 30 de la directive et quant au dialogue compétitif, l’article 29 de la directive ne le rend possible que pour les marchés dits « complexes ».La directive, qui vient d’être adoptée, bouleverse les conditions d’emploi du négocié et du dialogue compétitif en indiquant à l’article 26, alinéa 4 que « les États membres prévoient que les pouvoirs adjudicateurs peuvent appliquer une procédure concurrentielle avec négociation ou un dialogue compétitif dans les situations suivantes :a) pour les travaux, fournitures ou services remplissant un ou plusieurs des critères suivants :i) les besoins du pouvoir adjudicateur ne peuvent être satisfaits sans adapter des solutions immédiatement disponibles ;ii) ils portent notamment sur de la conception ou des solutions innovantes ;iii) le marché ne peut être attribué sans négociations préalables du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s'y rattachent ;iv) le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, une spécification technique commune ou une référence technique au sens de l'annexe VII, points 2 à 5 ;b) pour les travaux, les fournitures ou les services pour lesquels, en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées ».
II. Le rapprochement « procédure concurrentielle avec négociation » et dialogue compétitif
Le considérant 42 de la nouvelle directive nous livre la raison de cette reformulation : « Il est absolument nécessaire que les pouvoirs adjudicateurs disposent de plus de souplesse pour choisir une procédure de passation de marchés prévoyant des négociations. Un recours accru à ces procédures est également susceptible de renforcer les échanges transnationaux ».La procédure concurrentielle avec négociation se distingue de l’ancienne procédure négociée sur trois points. Tout d’abord, la procédure concurrentielle peut ne pas donner lieu à une négociation, contrairement à la procédure négociée qui, de par son intitulé même et conformément aux dispositions de l’article 30, alinéa 2 de la directive 2004/18/CE, exige une négociation. C’est l’alinéa 4 de l’article 29 de la nouvelle directive qui le précise en toutes lettres : « Les pouvoirs adjudicateurs peuvent attribuer des marchés sur la base des offres initiales sans négociation, lorsqu'ils ont indiqué, dans l'avis de marché ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt, qu'ils se réservent la possibilité de le faire. »Deuxième point nouveau, l’article 29, alinéa 1er de la nouvelle directive exige que le pouvoir adjudicateur fixe les points intangibles du cahier des charges : « Dans les documents de marché, les pouvoirs adjudicateurs définissent l'objet du marché en fournissant une description de leurs besoins [..]. Ils indiquent également les éléments de la description qui fixent les exigences minimales que doivent respecter toutes les offres. »Enfin, il est prévu à la fin des négociations que les candidats remettent une offre finale qui ne donne pas lieu à négociation, comme l'énonce l'article 29, alinéa 3 : « Les pouvoirs adjudicateurs négocient avec les soumissionnaires les offres initiales et toutes les offres ultérieures que ceux-ci ont présentées, à l'exception des offres finales au sens du paragraphe 7, en vue d'améliorer leur contenu. »Autant de nouveautés qui rapprochent fortement "procédure concurrentielle avec négociation" du dialogue compétitif. En effet, le dialogue compétitif dans la nouvelle directive prévoit un dialogue permettant l'identification et la définition des moyens propres à satisfaire au mieux leurs besoins du pouvoir adjudicateur, la remise d’une offre finale permettant de dégager un « soumissionnaire reconnu comme ayant remis l'offre présentant le meilleur rapport qualité/prix » avec lequel pourra avoir lieu une négociation.Dans les deux procédures, le cahier des charges est donc discuté et la négociation possible.
III. Le partenariat d’innovation ou l’adoption d’un « marché de définition de prestations innovantes »
Le considérant 49 de la nouvelle directive détaille les raisons de cette nouvelle procédure : « Lorsque le besoin de développer un produit, un service ou des travaux innovants et d'acquérir ultérieurement des fournitures, services ou travaux qui en résultent, ne peut être satisfait par des solutions déjà disponibles sur le marché, les pouvoirs adjudicateurs devraient avoir accès à une procédure spécifique de passation de marché pour les marchés relevant du champ d'application de la présente directive. Cette procédure spécifique devrait permettre aux pouvoirs adjudicateurs d'établir un partenariat d'innovation à long terme en vue du développement et de l'acquisition ultérieure d'un produit, d'un service ou de travaux nouveaux et innovants, pour autant qu'ils puissent être fournis aux niveaux de prestation et au coût arrêtés, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une passation de marché distincte pour l'acquisition. » Comme dans le dialogue compétitif, le pouvoir adjudicateur définit son besoin et comme dans la procédure concurrentielle avec négociation, il fixe des exigences minimum à respecter. Comme toute procédure restreinte, après sélection des candidatures le pouvoir adjudicateur invite les opérateurs économiques retenus à présenter une offre. Suite au classement de ces offres, un ou plusieurs marchés portant partenariat d’innovation sont conclus : « Le partenariat d'innovation est structuré en phases successives qui suivent le déroulement des étapes du processus de recherche et d'innovation, qui peuvent comprendre le stade de la fabrication des produits, de la prestation des services ou de l'exécution des travaux. [...] Le pouvoir adjudicateur peut décider, après chaque phase, de résilier le partenariat d'innovation ou, dans le cas d'un partenariat d'innovation établi avec plusieurs partenaires, de réduire le nombre de partenaires en mettant un terme aux contrats individuels » (art. 31, al. 2). Cette procédure de passation de marché, qui vise « au développement d'un produit, d'un service ou de travaux innovants et à l'acquisition ultérieure des fournitures, services ou travaux en résultant », mis à part l’aspect innovant, ressemble aux anciens marchés de définitions français condamnés par Bruxelles et supprimés par le décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 dans le Code des marchés publics de 2006.En effet, les marchés de définition étaient définis comme suit : « Lorsque le pouvoir adjudicateur n'est pas en mesure de préciser les buts et performances à atteindre, les techniques à utiliser, les moyens en personnel et en matériel à mettre en œuvre, il peut recourir aux marchés de définition. Ces marchés ont pour objet d'explorer les possibilités et les conditions d'établissement d'un marché ultérieur, le cas échéant au moyen de la réalisation d'une maquette ou d'un démonstrateur. Ils permettent également d'estimer le niveau du prix des prestations, les modalités de sa détermination et de prévoir les différentes phases de l'exécution des prestations. »Sources :
- Proposition de directive 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE
- Directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services
- Décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique