Responsabilité décennale et non-conformité à la sécurité incendie
La responsabilité décennale des constructeurs est un sujet récurrent du droit de la commande publique. Celle-ci, issue des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-6 du Code civil, est engagée pour des dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans à compter de la réception des travaux, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible. Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Bordeaux porte sur l’application de ce régime à des non conformités à la sécurité incendie (CAA Bordeaux, 13 sept. 2018, no15BX02772).
Le centre hospitalier de Montauban a décidé en 1995 de faire construire un bâtiment de deux étages comprenant notamment cent lits d'hébergement en rhumatologie, un plateau technique de rééducation fonctionnelle avec piscine de rééducation, ainsi qu'un ensemble cuisine-restauration au rez-de-chaussée, des services généraux, un pôle logistique en sous-sol et dans les combles, un local pharmacie, un service mortuaire et divers locaux techniques.
La réception des travaux de ces différents lots est intervenue sans réserve concernant la sécurité incendie en 2000. Toutefois, des malfaçons et des non-conformités à la réglementation applicable à ce type d'établissement ont été constatées à partir de 2003, lors d'un contrôle triennal du système de sécurité incendie et d'une visite de la commission de sécurité, avec avis défavorable à la poursuite de l'exploitation.
Le centre hospitalier de Montauban a alors demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner solidairement les constructeurs à l'indemniser de l'ensemble des préjudices résultant des non-conformités affectant son système de sécurité incendie, lequel a rejeté cette requête.
Saisie du litige suite à l’appel du centre hospitalier, la Cour administrative de Bordeaux rappelle d’abord, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, que les non-conformités aux normes de sécurité, si elles n'étaient pas apparentes lors des réceptions définitives de l'ouvrage et rendent celui-ci impropre à sa destination, engagent la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale alors même que le bâtiment en cause a été mis en service (CE, 23 juill. 2010, no 315034, Institut médico-éducatif de Saint-Junien).
Ainsi, dans le cas d’espèce, peu importe que la commission départementale de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ait émis un avis favorable à l'ouverture au public du bâtiment, de tels avis ne sauraient constituer une garantie de l'absence de non-conformités à la réglementation en vigueur faisant obstacle à ce que des vérifications plus approfondies puissent conclure différemment.
La Cour rappelle également que l’un des intervenants était chargé d'une mission « SEI », laquelle concerne le respect des dispositions de sécurité des personnes dans les constructions achevées dans les établissements recevant du public qui incluent l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public.
La Cour retient tout de même certaines fautes du maître d’ouvrage de nature à atténuer la responsabilité des constructeurs, parmi lesquelles la nomination tardive d'un coordonnateur de sécurité incendie, et le caractère tardif de la désignation du contrôleur technique : ces fautes fixent la part d'imputabilité des non-conformités au maître d'ouvrage à hauteur de 20%.
Cet arrêt illustre à nouveau le caractère très protecteur pour les maîtres d’ouvrage de la responsabilité décennale des constructeurs ; tout en rappelant que celle-ci ne les exonère pas des responsabilités qui leur incombent au titre de leur obligation de contrôle et de direction.